« J’ai appris que la peinture pouvait être autre chose qu’un rectangle accroché à un mur »1 déclarait l’artiste David Novros, revenant sur ses recherches des années 1960 l’amenant à ses compositions géométriques. Ce Tour des galeries commence par cette découverte : celle de l’artiste David Novros, exposé dans la prestigieuse galerie Max Hetzler, dans le quartier du Marais.
Sonnez à la grande porte cochère du 57, rue du Temple, aventurez-vous dans la cour puis, deux portes plus loin, vous accéderez à l’espace de la galerie. Le spectateur est accueilli par ce qui se présente à première vue comme une maquette d’une construction méditerranéenne, évoquant la fascination de l’artiste pour les fresques et les peintures in-situ.
Dans la seconde salle, trois larges – d’apparence – monochromes de 1966 sont accrochés au mur, représentatifs des premières compositions de l’artiste, tels des découpages. À la manière d’une fresque, David Novros a travaillé la surface de ses formes géométriques. Avec une extrême délicatesse, il y a mélangé l’acrylique au Dacron, pour recréer la texture d’un mur, ou l’acrylique à la poudre de Murano. Alors que ces œuvres se donnent à voir, le spectateur, mobile, peut découvrir une modulation de la couleur, nacrée, rose ou bleutée, transformant notre expérience de l’œuvre.
David Novros, Galerie Max Hetzler. 57, rue du Temple, Paris 4ème, jusqu’au 26 Février 2022.
Avant de rejoindre la galerie Maria Lund, où je m’arrêterai plus longuement sur l’exposition, nous passons par la rue Debelleyme : il ne faut jamais rater une occasion de voir des œuvres du maestro Marcel Duchamp. La galerie Thaddaeus Ropac présente Prière de toucher : Marcel Duchamp et le fétiche, exposition où nous retrouvons des œuvres significatives dans la carrière de l’artiste, explorant non seulement le thème de l’érotisme mais envisageant des principes associés au fétichisme. Par exemple, en présentant « le readymade comme objet fétiche », ou analysant chez Marcel Duchamp « la fétichisation des répliques miniatures et des reproductions mécaniques en tant qu’originaux ». Mention spéciale pour la LHOOQ rasée.
Prière de toucher : Marcel Duchamp et le fétiche, Galerie Thaddaeus Ropac. 7, rue Debelleyme, Paris 3ème, jusqu’au 19 février 2022.
J’avais été fasciné par ses tapisseries de feutre exposées en 2019 : Marlon Wobst est de retour à Paris avec la chaleureuse Galerie Maria Lund pour une nouvelle exposition. Celle-ci tire son nom du personnage qui nous accueille : The Sunsetter – Coucheur de soleil – cette figure, géante, énigmatique, au teint dégradé d’orangé-rose, qui avance, dans une pénombre totale.
La figure est centrale dans les œuvres de Marlon Wobst, qu’il insuffle d’émotions et d’une socialité. Que ce soit sous la forme d’une peinture, d’une céramique, d’un dessin ou d’une tapisserie, Marlon Wobst multiplie les saynètes. Extraites du quotidien, elles sont dérangeantes, anodines, drôles, ou plus graves. Exacerbant les couleurs et les matières, il semble s’adresser à ceux d’entre nous, les plus fins observateurs, qui veulent sans cesse percer le mystère de scènes qui composent nos vies.
Sunsetter, Marlon Wobst, Galerie Maria Lund. 8, rue de Turenne, Paris 3ème, jusqu’au 12 Mars 2022
Nous restons rue de Turenne, mais cette fois-ci côté cour, où se trouvent les beaux espaces de la galerie Almine Rech, que l’on rêverait d’avoir en lieu de vie. Ce songe est accentué par la cohabitation, pour cette exposition, de mobilier du designer Pierre Paulin et d’œuvres de l’artiste textile Brent Wadden.
Les tapisseries de l’artistes sont esthétiques, géométriques, chaleureuses, colorées. Elles se disent délibérément décoratives, explorant dans le travail géométrique et du tissage des références vernaculaires, du mouvement Arts & Crafts, ou du Bauhaus. Elles nous font aussi penser aux pièces d’Anni et Josef Albers que nous avons vues au MAM récemment. La lenteur du tissage à la main, les aléas dans sa réalisation, les savoir-faire et outils qu’il mobilise se heurtent parfois avec notre monde contemporain.
Les œuvres de Brent Wadden transforment l’espace de la galerie en un lieu de contemplation. Les pièces Paulin, dont le Tapis-Siège dans la pièce principale, participent à ce ressenti, cette envie de s’installer, cosy, pour ne pas quitter des yeux les œuvres, les appréhender, vivre quelques instants avec. Si le dossier de presse n’explicite pas la volonté de mettre en regard ces tapisseries aux pièces du designer, une certaine continuité dans leur ressenti, dans leur travail de la matière textile comme prouesse se ressent. C’est également bien sûr la question du statut de l’objet d’art décoratif qui est posée. On aurait presque envie, de voir l’un des modèles du designer star, se recouvrir d’un tissage de l’artiste. Composition à suivre ?

Brent Wadden, René. Galerie Almine Rech. 64 Rue de Turenne, Paris 3ème. Jusqu’au 12 mars 2022
En parlant de Paulin, la galerie Derouillon s’est installée un tout nouvel espace, teasant son ouverture par des stories d’un long Osaka rose, installé dans une pièce de ce nouveau lieu. J’étais attaché à l’espace de la rue Notre Dame de Nazareth, mais ce nouveau lieu laisse imaginer de grands projets en perspective.
C’est Alex Foxton, dont nous avions évoqué le travail dans le précédent Tour des galeries, qui présente une nouvelle série de travaux pour cette exposition inaugurale. L’artiste, connu pour sa collaboration avec Kim Jones, poursuit son exploration de son travail de la peinture, de la figure masculine et de ses représentations. L’accrochage est dense et les œuvres, nombreuses, sont de différents médiums : des toiles, cartons, papiers, parfois morceaux de fer, assemblés, déchirés, découpés, réhausssés.
Il faut alors prendre le temps, d’aller et de venir, de longer les cimaises de la galerie Derouillon pour laisser son œil s’accommoder aux créations d’Axel Foxton, pour en profiter pleinement. Des paillettes se laissent apercevoir, les traits de fusain font sens, les objets représentés dévoilent leurs mystères, les portraits libèrent toute leur puissance.
Hex, Alex Foxton, Galerie Derouillon. 13 rue de Turbigo, Paris 2ème, jusqu’au 19 février.

Etel Adnan, dont nous connaissons les aplats de couleur vive, aura passé les derniers mois de sa vie à se concentrer sur le noir et le blanc. Travaillant au pinceau, elle retranscrivait sur la toile ce qu’elle appelait sa « découverte de l’immédiat », transformant instantanément des objets de son quotidien en natures mortes. Ces œuvres, où le trait se simplifie, se brouille et la peinture est comme essentialisée, me font penser au Jeune Peintre de Picasso, œuvre également réalisée quelques mois avant le décès de l’artiste, et extrêmement touchante. Dans un dernier geste créatif, Etel Adnan a réalisé une œuvre sur papier de plus de 5mètres de long, représentant la baie d’Erquy, qu’elle contemplait ces dernières années.
Découverte de l’immédiat, Etel Adnan, Galerie Lelong. 13 rue de Téhéran, Paris 8ème, jusqu’au 12 mars.
Avant de venir admirer ces œuvres d’une extrême tendresse, ou pour poursuivre ce voyage, vous pouvez écouter le podcast de la Bourse de Commerce, dont l’un des épisodes revient sur la rencontre de ces deux âmes sœurs, Etel Adnan et Simone Fattal. Si Etel Adan avait prédit : « Le jour où je ne serai plus là, l’univers aura perdu une amie », par cet univers son génie continuera à vivre.
CONSTANT DAURÉ
1-D. Novros et M. Brennan, « Entretien d’histoire orale avec David Novros, » dans Smithsonian Archives of American Art, 22 & 27 Octobre 2008, p. 5.