L’OAR 284 du Musée d’Histoire de Lyon

Le 11 février dernier, le Musée d’Histoire de Lyon est en pleine émulation. C’est une journée un peu spéciale pour lui car un nouvel objet fait son apparition au sein de son parcours permanent. Dorénavant, dans la salle dédiée à la Seconde Guerre mondiale, les visiteurs pourront découvrir un petit orgue de salon.

Ce n’est pas tant la nature du bien que son statut juridique qui le rend si particulier. En effet, sur son cartel, il est possible de lire en lettres rouges la désignation « OAR 284 (Objet Art Récupération) ». Mais que signifie ce sigle ? Pour le comprendre, il est nécessaire de se replonger dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, nombreux objets, œuvres d’art, livres, meubles et instruments de musique, provenant de la France et pour partie spoliés par l’Occupant, furent récupérés par les forces Alliées et ré-expédiés en France en vue de leur restitution à leur propriétaire légitime. En l’absence de leur revendication et de provenance inconnue, plus de 2000 objets d’art furent retenus par le gouvernement français pour leur importance au regard du patrimoine national, afin qu’ils soient mis en dépôt dans les Musées nationaux ou dans les musées de province et exposés aux yeux du public.

Un décret du 30 septembre 1949 détermina leur statut juridique : l’Etat n’étant que leur détenteur précaire, ces biens n’entrent pas dans les collections publiques et sont inscrits dans le Répertoire des Biens spoliés dans l’attente de leur restitution éventuelle, sans qu’aucune date de prescription n’empêche d’en faire la demande ultérieure. Un sigle leur a été assigné pour les distinguer, notamment MNR (musées nationaux récupération) pour 980 tableaux du XVe siècle au début du XXe siècle, et OAR (objets d’art récupération) pour 645 objets d’art décoratif du XVe siècle au XIXe siècle. De plus, pour permettre leur identification, leur statut juridique contraint les institutions à les rendre accessibles au public et leur empêche de quitter le territoire.

Pourtant, depuis 1951, année où le petit orgue fut confié aux musées Gadagne, il n’avait jamais été exposé, seulement lors de l’exposition temporaire « La dame du Jeu de Paume, Rose Valland sur le front de l’art » au CHRD, entre 2009 et 2010.

Il apparaît que, plus généralement, entre les années 1950 et la fin des années 1990, aucune action n’était réellement menée par l’administration pour rechercher la provenance de ces biens. Ce n’est qu’en 1997 que le Premier Ministre décida de mettre en place une mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France pendant l’Occupation. Il en résulte la création de la Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliation, tandis, qu’en parallèle, la direction des Musées de France, reprit les recherches afin de mieux connaître l’historique des œuvres et en vue de conduire à de nouvelles identifications de propriétaires. Plus récemment, la volonté d’amplifier les initiatives menées jusqu’alors s’est concrétisée par un décret d’avril 2019 instaurant une « politique publique visant à identifier et restituer les biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ». Un arrêté complète le texte en érigeant la « Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ». Composée d’experts en matière de recherche de provenance, un budget lui est alloué afin de solliciter des recherches complémentaires.

C’est dans ce contexte que l’I.D.A.C (Institut de Droit de l’Art et de la Culture) a pris l’initiative de créer le premier séminaire de chercheur de provenance de France en partenariat avec le musée des Beaux-Arts de Lyon et les musées Gadagne. Dispensé aux étudiants du Master 2 Droit et Fiscalité du Marché de l’Art de l’Université Lyon III, ces derniers se sont vu attribuer les différentes oeuvres MNR et OAR des deux musées afin de retrouver leur origine. Trois étudiantes ont été chargées de rassembler autant d’informations que possible sur l’OAR284, bien si particulier, hybride entre un objet d’art et un instrument de musique. Les éléments à leur disposition comme point de départ de leur enquête étaient assez lacunaires. Sur la base de données Rose Valland, recensant toutes les oeuvres MNR, la fiche du bien l’identifiait comme une boîte à musique de l’école française du XIXe siècle. Les seuls indices pertinents étaient : le nom d’un fabricant, Mougenot, installé rue Saint Apolline à Paris, dont l’étiquette était apposée à l’intérieur du mécanisme, ainsi que celui d’un antiquaire parisien, Georges Charliat, par qui le musée d’Aix-la-Chapelle avait pu acquérir l’objet durant la Seconde Guerre mondiale. Pour accomplir leurs recherches, elles ont alors sollicité l’aide de trois types d’acteurs : les experts et luthiers afin de mieux comprendre la nature de l’objet, les institutions muséales pour retracer le parcours de l’objet, les archives pour retrouver les registres des fabricants et commerçants de l’époque.

Catalogue Jérôme Thibouville-Lamy de 1867

Grâce aux luthiers, elles ont pu déterminer qu’il ne s’agissait pas d’une boîte à musique car le cylindre à l’intérieur de la boite était en bois et non en cuivre. Il s’agissait en réalité d’un petit orgue de salon à anches. Les musées ont, quant à eux, fourni la généalogie des Mougenot, grande famille de luthiers originaires de la petite ville de Mirecourt dans les Vosges, dont l’étiquette était apposée à l’intérieur de la boîte. Cependant, elles ont eu connaissance par les experts qu’il était fréquent au XIXème siècle que le vendeur mette le label de son magasin sur les instruments de musique. Mougenot ne serait donc pas le fabricant mais il s’agirait d’une autre famille de facteurs d’orgues de Mirecourt, l’entreprise Jérôme-Thibouville-Lamy. Enfin, elles ont interrogé les archives de Paris et des Vosges. Toutefois, celles-ci n’avaient aucune trace des registres de la famille Mougenot ou encore du dernier vendeur parisien aux Allemands, Georges Charliat.

Finalement, sans parvenir à reconstituer l’entier parcours du bien, et notamment ses propriétaires d’avant la guerre, elles sont parvenues, au terme de leurs investigations, à restituer au bien sa véritable nature et remettre en cause l’attribution au fabricant Mougenot. En outre, informées quant à la volonté du MHL de rendre visible au public l’OAR, elles ont contribué à la rédaction de son cartel actualisé et proposé d’y joindre un panneau d’information sur les MNR/OAR afin de sensibiliser le grand public à ses dénominations largement inconnues.

A la suite de l’exposé de leurs travaux de recherches au musée des Beaux-Arts de Lyon le 20 février devant un jury constitué de représentants des institutions muséales, d’universitaires et de la présidente de la maison de vente aux enchères Sotheby’s France, elles ont été récompensées par le premier prix.

Pour le petit orgue de salon, l’enquête se poursuit. Tandis que la chargée des collections du MHL cherche à entrer en contact avec les descendants de Georges Charliat, la piste de l’entreprise Jérôme-Thibouville-Lamy semble se confirmer grâce à la découverte récente d’un catalogue datant de 1878 et proposant à la vente un type d’orgue fortement similaire…

ALICE CHAUVEAU, CONSTANCE GAUDIN, JULIA TATAR