LE DIRECTEUR ARTISTIQUE D’UNE MARQUE DE MODE EST-IL “CURATOR” ?

Au cœur du domaine du Château Lacoste, la surprenante Richard Rogers Gallery est perchée dans les pins : l’art est donné à ressentir en pleine nature. Jusqu’au 1er mai, une dizaine d’œuvres inédites du peintre nord-irlandais William McKeown, saisissant les multiples variations de couleur qu’offre le ciel, dialoguent avec un vase en céramique du japonais Kazunori Hamana. L’espace d’exposition, où les larges baies s’ouvrent sur la campagne provençale, fait raisonner la dimension contemplative de ces œuvres. 

Cette sélection est signée Jonathan Anderson, directeur artistique de son propre label de mode éponyme et de la Maison espagnole LOEWE, qui dévoile ici une de ses nombreuses facettes: celle de curateur. 

Vue d’exposition : “William McKeown featuring Kazunori Hamana, curated by Jonathan Anderson”, jusqu’au 1er mai à la Richard Rogers Gallery du Château La Coste, Le-Puy-Sainte-Réparade.

Jonathan Anderson, créateur-curateur.  

En parallèle de la mode, Jonathan Anderson, également originaire d’Irlande du Nord, est passionné d’art, collectionneur et n’en est pas à son coup d’essai : en 2017, il a présenté « Disobedient Bodies », une exposition organisée à The Hepworth Wakefield, musée d’art moderne et contemporain britannique.  Comme l’évoque le titre, littéralement les corps désobéissants, indociles, le créateur alors curateur a souhaité explorer la forme du corps humain dans l’art, la mode et le design. Pour prolonger son travail de créateur de vêtements et d’accessoires, l’Irlandais a sélectionné une centaine de pièces de 40 artistes et designers, interrogeant la vision du corps et ses représentations radicales. Il y a également présenté des pièces de ses collections qui questionnaient particulièrement le sujet du genre. 

Ce goût pour le culturel se retrouve dans sa direction artistique de LOEWE, où Jonathan Anderson a impulsé de nombreux projets pour densifier l’empreinte culturelle de la Maison : dans les campagnes de communication, les concepts de boutique, des collections capsule en collaboration artistique, ou encore par la Fondation LOEWE et son Foundation Craft Prize, célébrant l’excellence des nouvelles générations du domaine des arts appliqués. 

En Janvier 2021, obligé à repenser la manière de présenter les collections, le directeur artistique propose un beau livre de 200 pages, dédié aux créations et publications de l’artiste et écrivain Joe Brainard, où le lien avec LOEWE se fait discret. On y retrouve une sélection d’œuvres de l’Américain rarement reproduites, issues de fanzines, comics, ou autres impressions créées dans les années 1960 et 1970.  Ce livre n’est pas seulement fait de travaux artistiques, la Maison va plus loin dans le contenu : l’ouvrage est accompagné d’une préface écrite par Ron Padgett, poète et proche de l’artiste mis à l’honneur, ainsi qu’un texte d’Eric Troncy, critique d’art et co-directeur du célèbre centre d’art Le Consortium à Dijon. 

A show in a Book, crédits LOEWE

Deux livrets sont intégrés dans la jaquette du livre d’art, où la collection de la saison est présentée, associée donc à l’œuvre de Joe Brainard : « J’aimais cette idée que, d’une manière étrange, la collection tombe tout simplement du livre » raconte Jonathan Anderson pour Vogue1. Certaines pièces LOEWE, reprennent des motifs ou dessins de l’artiste. 

Cette présentation n’est pas simplement une alternative au défilé, où le papier imprimé tente de remplacer les évènements de la fashion week, mais plus largement l’ambition de lancer une collection de vêtement par l’édition d’un corpus historique d’œuvres d’un artiste. Jonathan Anderson a eu le souhait de présenter les créations d’une personnalité qui le fascine et l’inspire, dans le but de partager et médiatiser ses créations pour LOEWE. L’association à ce projet d’une personnalité du monde de l’art reconnue comme celle d’Eric Troncy n’est pas anodine, institutionnalisant et légitimant ce corpus d’œuvres sélectionnées et mis en avant par le directeur artistique.

La vogue du curating

Les projets menés par Jonathan Anderson semblent bien illustrer les frontières poreuses qui peuvent exister entre le rôle actuel du directeur artistique d’une maison de mode, et celui d’un curateur dans le milieu de l’art contemporain.

Aux prémices de cette tentative de parallèle, un constat : celui de l’utilisation de plus en plus récurrente du terme de « curation » dans le milieu de la mode2 : une sélection de films « curated by » Hedi Slimane durant le confinement offerts au public par CELINE3, les designers Kim Jones et Virgil Abloh – respectivement directeurs artistiques de Dior Homme et Louis Vuitton Homme – invités tous deux en tant que curateur pour des ventes aux enchères Sotheby’s, une playlist The Row « curated » par Mary-Kate and Ashley Olsen -les fondatrices de la marque- ou encore l’exposition anniversaire des 100 ans de Gucci dont le directeur artistique de la Maison, Alessandro Michele, en était le curateur.

Si cette utilisation peut être rapprochée du langage journalistique, des tendances ou de la communication, ce terme permet également de créer des connexions entre la mode et le monde de l’art. L’identité d’une marque de mode se façonne non seulement à travers les objets produits et disponibles à la vente, mais plus largement en créant explicitement des liens avec les autres univers créatifs et artistiques. 

Dans la plupart des cas, ces curations sont signées par les directeurs artistiques, nous amenant à réfléchir plus largement au rôle actuel du directeur artistique dans une maison de mode, et à questionner l’utilisation du terme de curateur. 

Ces deux termes, que nous mettons en regard, désignent deux nouvelles figures d’autorité, apparues lors des dernières décennies, et dont les rôles sont en mutation. 

Au micro d’Isabelle Morizet sur Europe 1, Guillaume Henry, directeur artistique de Patou, revient sur les mutations du rôle et des fonctions de la figure d’autorité dans la maison de mode, le dénommé directeur artistique :

« Je ne me considère pas couturier. […] Je me considère encore comme un styliste, même si aujourd’hui le terme utilisé est directeur artistique, parce que avant faire des collections c’était dessiner des silhouettes, alors qu’aujourd’hui c’est beaucoup plus vaste que ça : on doit penser communication, réseaux sociaux, comment communiquer autour de la marque, (…) là où elle occupait une place quasiment exclusive, aujourd’hui la mode en tant que produit est beaucoup moins exclusive : on va penser davantage à la notoriété d’une marque qu’au produit pur »4.

photo : Guillaume Henry. Crédits Franco P TETTAMANTI

Couturier, styliste puis directeur artistique, un rôle qui a évolué au fil des années

Dans les maisons de mode, une figure d’autorité centrale s’est constituée : celle du directeur(rice) artistique. Ce nom est utilisé originellement (et encore aujourd’hui) dans le secteur de l’édition. Fondamentalement, la direction artistique est la mise en image et la mise en récit, en travaillant avec des illustrateurs, designers, photographes, artistes, …  Cette appellation désigne dorénavant la figure créative centrale d’une marque de mode. 

Historiquement, la figure d’autorité dans une maison de mode est la figure du couturier. Celui-ci (ou celle-ci) est le plus souvent éponyme de la maison, qu’il a créé. Les exemples sont très nombreux, et nous pouvons citer les plus connus : Charles Frederick Worth, Gabrielle Chanel, Cristóbal Balenciaga, Azzedine Alaïa ou encore Madame Grès, étaient de grands couturiers et sont entrés dans l’Histoire de la mode par leurs créations, élaborées dans leurs ateliers autour de mannequins avec du fil, du tissu et des aiguilles. Le couturier s’occupe des collections : il est alors préoccupé avant tout par les silhouettes, par les vêtements et accessoires de mode qu’il crée. 

Dès les années 1960, des stylistes et créateurs sont arrivés à la tête de grandes marques de mode. Cela du fait soit de la création et du succès de leurs griffes de prêt-à-porter, comme par exemple Kenzo, agnès b., Jean-Charles de Castelbajac, soit de leur nomination dans des maisons : Karl Lagerfeld, plus tard Tom Ford ou Phoebe Philo. Ils ont progressivement remis en question l’idée que l’autorité dans la mode serait détenue par un couturier. S’il ne coud pas, le styliste est quelqu’un qui travaille à partir d’images, et qui va guider dans un second temps la confection, qu’elle soit en atelier ou industrielle. 

La nouvelle génération de créateurs de mode, émergées dans la dernière décennie, n’est plus focalisée seulement sur les silhouettes, mais ont une vision globale de la marque, passant par les créations certes, mais encore plus par les défilés, la communication, les concepts de showroom et les boutiques. Ils sont designers, architectes, photographes, stylistes, … Le directeur artistique va piocher dans un vivier de talents créatifs pour écrire son propre récit et façonner l’image de la marque. 

Ainsi, ce changement d’appellation témoigne que le directeur artistique est le garant de l’ambition esthétique, et donc artistique de la maison de mode, rapprochant explicitement ces deux sphères. 

Harald Szeemann, Karl Lagerfeld et Hans-Ulrich Obrist

Un nouveau rôle dans l’art contemporain, du « faiseur d’exposition » au curateur.

Dans le milieu de l’art contemporain, c’est la figure du curateur(rice) qui s’est dégagée. Il est impossible aujourd’hui de s’intéresser au milieu de l’art contemporain : visiter des expositions, lire la presse ou les écrits spécialisés, discuter avec des artistes, … sans que ce terme de « curateur » ne soit évoqué. 

 Nous pourrions simplifier cette recherche en postulant que l’utilisation du terme de curateur et la prise d’importance de ce statut dans le milieu de l’art contemporain ne serait que dues à l’usage croissant d’anglicismes dans notre langage, ramenant donc aux rôles du commissaire d’exposition ou conservateur, ce que signifie “curator” en anglais, depuis longtemps.

Mais dès les années 1970, un figure, considérée aujourd’hui comme le premier curateur, démontre ce souhait de se libérer des classifications préétablies. Il s’agit d’Harald Szeemann (1933 – 2005), qui se qualifiait de « faiseur d’exposition ». Un sens nouveau pourrait donc être attribué à “curator”, et donc, un nouveau rôle. 

C’est ce que relève dans sa définition Hans-Ulrich Obrist, pape de la pratique contemporaine du curating, qu’il a lui-même grandement façonnée. « La racine latine est claire : curare signifie « s’occuper de » (…). [Sa mission] s’est tellement écartée de la fonction traditionnelle de conservation qu’il faudrait inventer un néologisme pour la définir. En se référant à l’allemand qui parle de Ausstellungsmacher, littéralement  » faiseur d’exposition « , on pourrait parler du curateur-faiseur d’exposition »5.

Lawrence Weiner, lors de l’exposition When attitude becomes form (1969) à la Kunsthalle de Berne curatée par Harald Szeemann

Dans son ouvrage L’invention du curateur. Mutations dans l’art contemporain6, Jérôme Glicenstein, maître de conférences en arts plastiques à l’Université de Paris VIII – Vincennes-Saint-Denis, démontre que l’émergence et la singularisation de la figure du curateur peuvent être résumées en deux temps :

Tout d’abord, par une distinction avec le conservateur dans la période d’après-guerre avec le développement de « pratiques néo-avant-gardistes » dans un monde de l’art contemporain en pleine construction, « à un moment où se constitue un réseau d’institutions novatrices (centres d’art et résidences d’artistes), de collections et de conservateurs ouverts à la création contemporaine »7

Nous noterons en effet l’importance de l’émergence de centres d’art contemporain, lieu d’art où il n’y a pas de collection, permettant que leur direction ne soit pas nécessairement assurée par des conservateurs du patrimoine. Par exemple, le centre d’art contemporain du Palais de Tokyo, sera co-dirigé à sa création par Nicolas Bourriaud, figure historique de curateur en France.

Deuxièmement, l’auteur revient sur la distinction entre curateur et commissaire d’exposition, en s’appuyant sur l’étymologie : « Curateur connoterait l’idée d’assistance, puisqu’il s’agit à l’origine de prendre soin de quelqu’un ou de quelque chose, alors que le mot « commissaire » renverrait plutôt à une question de rapports de pouvoir, avec l’idée d’une délégation de responsabilité »8, notamment venant de l’État. 

Ainsi le mot de curateur tend de plus à plus à désigner les organisateurs des expositions d’art contemporain, dans une compréhension plus généraliste de l’activité de commissaire d’exposition, au plus proche des artistes, dont ils prendraient soin. 

La sélection esthétique du curating étendue au domaine de la mode

Par extension, en dehors du domaine de l’art contemporain, sélectionner, organiser, classer, montrer : le terme curateur peut servir d’adjectif à un choix esthétique opéré par un individu, même si certains rappellent l’origine du terme, muséal, renvoyant au domaine de l’exposition et défendent ainsi une acception stricte de ce mot.

Ce regard esthétique porté sur le monde et restitué publiquement pour affirmer une identité, n’échappe pas au rôle du directeur artistique. 

Lawrence Weiner x Louis Vuitton pour la collection Automne – Hiver 21 sous la direction artistique de Virgil Abloh

Comme nous l’avons relevé, la mission du directeur artistique est fondamentalement de mettre en image et mettre en récit sa vision pour la marque de mode, ce qui le lie au curateur, ce faiseur d’exposition d’art contemporain. En effet, dans son rôle actuel, le directeur artistique d’une marque de mode va collaborer non seulement avec des talents créatifs liés à son domaine, mais également avec des artistes pour façonner la déclinaison visuelle et l’identité de son entité. 

Si le terme de curateur renvoi étymologiquement à l’idée de « s’occuper de », en latin, cette mission est remplie par ces deux figures lorsqu’ils tissent des liens avec des artistes, instaurent des projets ensemble, font découvrir et présentent leur travail avec le rôle de médiateur auprès du public. Le directeur artistique, devenu au fil des années un marketeur et communiquant, travaille le récit de marque et le storytelling de ses collections, à la façon du curateur qui suit un fil rouge dans ses sélections pour élaborer un propos et une exposition cohérente. 

Cette proximité entre ces deux figures est renforcée par l’hybridation croissante des milieux du luxe et de l’art, amenant les directeurs artistiques à renforcer l’empreinte culturelle des marques, mais également les acteurs culturels à bénéficier des pratiques du marketing et de communication des grands acteurs privés. C’est ainsi que le terme de curateur se retrouve également dans d’autres milieux que celui de l’art, réutilisé dans un langage journalistique et de communication.  Si l’art est mis au service de la quête de légitimité des marques, il est intéressant de relever que la pratique du curating, face à d’autres pratiques telles que la collaboration, tend de prime abord à garder l’aura de l’œuvre d’art sans la transformer en produit de mode, mais en la présentant pour ce qu’elle est, une pièce autotélique. 

Vue de la vitrine de la boutique LOEWE du Faubourg Saint-Honoré où est exposée Full of Bitter Blight (2019) de Richard Hawkins. Crédits LOEWE

La finalité des projets de ces deux figures reste cependant un point de divergence entre ces deux rôles, du moins à première vue. C’est en effet la nature commerciale de la marque de mode qui est un point de rupture entre le directeur artistique et le curateur d’art contemporain. Si tous deux permettent la découverte d’œuvres d’art, le directeur artistique fera entrer l’œuvre dans une vision globale marchande de son entité, en lien avec les produits en vente, alors que le curateur mettra en avant la démarche artistique pour ce qu’elle apporte dans le monde de la création. Cependant, si nous pouvons penser que l’œuvre d’art est instrumentalisée par la marque lorsque présentée par un directeur artistique, une utilisation politique, idéologique ou encore philosophique peut être faite par le curateur lui-même, qui peut détourner le travail d’un artiste pour ses propres intérêts.  

Enfin, directeur artistique est une fonction profondément créative, où certaines figures historiques ont été élevées au rang d’artiste. Qu’en est-il du curateur ? Il serait intéressant de poursuivre cette étude en cherchant s’il serait possible d’envisager le curating comme une pratique créative, et plus précisément artistique.  

CONSTANT DAURÉ

Cet article est issu d’un travail de recherche plus approfondi dans le cadre de mon mémoire de fin d’études à l’Institut Français de la Mode, consultable en ligne ici.

SOURCES

1 JANA R., « “Show in a book” : quel est le dernier projet de Jonathan Anderson pour Loewe? », Vogue, 23 janvier 2021, [en ligne]. Disponible sur : https://www.vogue.fr/vogue-hommes/article/show-in-a-book-projet-jonathan-anderson-loewe (Page consultée le 23/06/2021)

2L’article La vogue du « fashion curating », écrit par Sophie Abriat et paru dans le Madame Figaro du week-end du 11 septembre 2020 a nourrit cette réflexion autour de l’utilisation du terme de « curation » dans le milieu de la mode, et recense un certain nombre d’exemples de recours à ce terme dans des contenus de marque.

3Post Instagram de CELINE en date du 17 avril 2020, Disponible sur : https://www.instagram.com/p/B_FamLQnH4b/?utm_source=ig_embed (Consulté le 29/08/2021).

4 EUROPE 1, Isabelle Morizet avec Guillaume Henry, Disponible sur https://www.europe1.fr/emissions/Il-n-y-a-pas-qu-une-vie-dans-la-vie/isabelle-morizet-avec-guillaume-henry-4039457 (consulté le 20 avril 2021).

5 OBRIST H-U., Les voies du curating, Paris, Manuella éditions, 2015, p.34-P.35.

6 GLICENSTEIN J., L’invention du curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015

7 Ibid. p.35.

8 Ibid. p.18.

LE TOUR DES GALERIES #4

« J’ai appris que la peinture pouvait être autre chose qu’un rectangle accroché à un mur »1 déclarait l’artiste David Novros, revenant sur ses recherches des années 1960 l’amenant à ses compositions géométriques. Ce Tour des galeries commence par cette découverte : celle de l’artiste David Novros, exposé dans la prestigieuse galerie Max Hetzler, dans le quartier du Marais.

Sonnez à la grande porte cochère du 57, rue du Temple, aventurez-vous dans la cour puis, deux portes plus loin, vous accéderez à l’espace de la galerie. Le spectateur est accueilli par ce qui se présente à première vue comme une maquette d’une construction méditerranéenne, évoquant la fascination de l’artiste pour les fresques et les peintures in-situ.

Dans la seconde salle, trois larges – d’apparence – monochromes de 1966 sont accrochés au mur, représentatifs des premières compositions de l’artiste, tels des découpages.  À la manière d’une fresque, David Novros a travaillé la surface de ses formes géométriques. Avec une extrême délicatesse, il y a mélangé l’acrylique au Dacron, pour recréer la texture d’un mur, ou l’acrylique à la poudre de Murano. Alors que ces œuvres se donnent à voir, le spectateur, mobile, peut découvrir une modulation de la couleur, nacrée, rose ou bleutée, transformant notre expérience de l’œuvre.

David Novros, Galerie Max Hetzler. 57, rue du Temple, Paris 4ème, jusqu’au 26 Février 2022.

Avant de rejoindre la galerie Maria Lund, où je m’arrêterai plus longuement sur l’exposition, nous passons par la rue Debelleyme : il ne faut jamais rater une occasion de voir des œuvres du maestro Marcel Duchamp. La galerie Thaddaeus Ropac présente Prière de toucher : Marcel Duchamp et le fétiche, exposition où nous retrouvons des œuvres significatives dans la carrière de l’artiste, explorant non seulement le thème de l’érotisme mais envisageant des principes associés au fétichisme. Par exemple, en présentant « le readymade comme objet fétiche », ou analysant chez Marcel Duchamp « la fétichisation des répliques miniatures et des reproductions mécaniques en tant qu’originaux ». Mention spéciale pour la LHOOQ rasée.

Prière de toucher : Marcel Duchamp et le fétiche, Galerie Thaddaeus Ropac. 7, rue Debelleyme, Paris 3ème, jusqu’au 19 février 2022.

J’avais été fasciné par ses tapisseries de feutre exposées en 2019 : Marlon Wobst est de retour à Paris avec la chaleureuse Galerie Maria Lund pour une nouvelle exposition. Celle-ci tire son nom du personnage qui nous accueille : The Sunsetter Coucheur de soleil –  cette figure, géante, énigmatique, au teint dégradé d’orangé-rose, qui avance, dans une pénombre totale.

La figure est centrale dans les œuvres de Marlon Wobst, qu’il insuffle d’émotions et d’une socialité. Que ce soit sous la forme d’une peinture, d’une céramique, d’un dessin ou d’une tapisserie, Marlon Wobst multiplie les saynètes. Extraites du quotidien, elles sont dérangeantes, anodines, drôles, ou plus graves. Exacerbant les couleurs et les matières, il semble s’adresser à ceux d’entre nous, les plus fins observateurs, qui veulent sans cesse percer le mystère de scènes qui composent nos vies.

Sunsetter, Marlon Wobst, Galerie Maria Lund. 8, rue de Turenne, Paris 3ème, jusqu’au 12 Mars 2022

Nous restons rue de Turenne, mais cette fois-ci côté cour, où se trouvent les beaux espaces de la galerie Almine Rech, que l’on rêverait d’avoir en lieu de vie. Ce songe est accentué par la cohabitation, pour cette exposition, de mobilier du designer Pierre Paulin et d’œuvres de l’artiste textile Brent Wadden.

Les tapisseries de l’artistes sont esthétiques, géométriques, chaleureuses, colorées. Elles se disent délibérément décoratives, explorant dans le travail géométrique et du tissage des références vernaculaires, du mouvement Arts & Crafts, ou du Bauhaus. Elles nous font aussi penser aux pièces d’Anni et Josef Albers que nous avons vues au MAM récemment. La lenteur du tissage à la main, les aléas dans sa réalisation, les savoir-faire et outils qu’il mobilise se heurtent parfois avec notre monde contemporain.

Les œuvres de Brent Wadden transforment l’espace de la galerie en un lieu de contemplation. Les pièces Paulin, dont le Tapis-Siège dans la pièce principale, participent à ce ressenti, cette envie de s’installer, cosy, pour ne pas quitter des yeux les œuvres, les appréhender, vivre quelques instants avec. Si le dossier de presse n’explicite pas la volonté de mettre en regard ces tapisseries aux pièces du designer, une certaine continuité dans leur ressenti, dans leur travail de la matière textile comme prouesse se ressent. C’est également bien sûr la question du statut de l’objet d’art décoratif qui est posée. On aurait presque envie, de voir l’un des modèles du designer star, se recouvrir d’un tissage de l’artiste. Composition à suivre ?

Brent Wadden, René. Galerie Almine Rech. 64 Rue de Turenne, Paris 3ème. Jusqu’au 12 mars 2022

En parlant de Paulin, la galerie Derouillon s’est installée un tout nouvel espace, teasant son ouverture par des stories d’un long Osaka rose, installé dans une pièce de ce nouveau lieu. J’étais attaché à l’espace de la rue Notre Dame de Nazareth, mais ce nouveau lieu laisse imaginer de grands projets en perspective.

C’est Alex Foxton, dont nous avions évoqué le travail dans le précédent Tour des galeries, qui présente une nouvelle série de travaux pour cette exposition inaugurale. L’artiste, connu pour sa collaboration avec Kim Jones, poursuit son exploration de son travail de la peinture, de la figure masculine et de ses représentations. L’accrochage est dense et les œuvres, nombreuses, sont de différents médiums : des toiles, cartons, papiers, parfois morceaux de fer, assemblés, déchirés, découpés, réhausssés.

Il faut alors prendre le temps, d’aller et de venir, de longer les cimaises de la galerie Derouillon pour laisser son œil s’accommoder aux créations d’Axel Foxton, pour en profiter pleinement. Des paillettes se laissent apercevoir, les traits de fusain font sens, les objets représentés dévoilent leurs mystères, les portraits libèrent toute leur puissance.

Hex, Alex Foxton, Galerie Derouillon. 13 rue de Turbigo, Paris 2ème, jusqu’au 19 février.

Etel Adnan, dont nous connaissons les aplats de couleur vive, aura passé les derniers mois de sa vie à se concentrer sur le noir et le blanc. Travaillant au pinceau, elle retranscrivait sur la toile ce qu’elle appelait sa « découverte de l’immédiat », transformant instantanément des objets de son quotidien en natures mortes. Ces œuvres, où le trait se simplifie, se brouille et la peinture est comme essentialisée, me font penser au Jeune Peintre de Picasso, œuvre également réalisée quelques mois avant le décès de l’artiste, et extrêmement touchante. Dans un dernier geste créatif, Etel Adnan a réalisé une œuvre sur papier de plus de 5mètres de long, représentant la baie d’Erquy, qu’elle contemplait ces dernières années.

Découverte de l’immédiat, Etel Adnan, Galerie Lelong. 13 rue de Téhéran, Paris 8ème, jusqu’au 12 mars.

Avant de venir admirer ces œuvres d’une extrême tendresse, ou pour poursuivre ce voyage, vous pouvez écouter le podcast de la Bourse de Commerce, dont l’un des épisodes revient sur la rencontre de ces deux âmes sœurs, Etel Adnan et Simone Fattal. Si Etel Adan avait prédit : « Le jour où je ne serai plus là, l’univers aura perdu une amie », par cet univers son génie continuera à vivre.

CONSTANT DAURÉ

1-D. Novros et M. Brennan, « Entretien d’histoire orale avec David Novros, » dans Smithsonian Archives of American Art, 22 & 27 Octobre 2008, p. 5.

Enfin, la Collection Pinault ouvre ses portes à Paris

Ce 22 mai, la Collection Pinault ouvre ses portes à Paris, dans la Bourse de commerce fraichement rénovée et réaménagée. Enfin, le célèbre homme d’affaires breton François Pinault pourra partager sa collection d’art contemporain avec le public parisien.

« Enfin » semble être en effet le maître-mot de ce 22 mai : enfin l’inauguration que nous attendions depuis plus d’un an, celle-ci ayant été sans cesse repoussée du fait de la pandémie. Mais au-delà de la crise sanitaire, c’est enfin l’ouverture après plus de cinq ans de travail sur le projet de réaménagement de la Bourse de commerce de Paris pour y accueillir la Collection Pinault.

C’est aussi enfin la concrétisation d’un projet initié il y a plus de vingt ans par le collectionneur, qui avait annoncé en 2000 sa volonté de bâtir un lieu d’exposition pour ses œuvres, à l’époque sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt.

Drapeau, décembre 2020 (c) Studio Bouroullec, Courtesy Bourse de Commerce – Pinault Collection, Photo Studio Bouroullec
« J’aurais aimé que tout cela arrive plus tôt. »  
soufflait François Pinault 
à Roxana Azami et Raphaëlle Bacqué pour Le Monde[1]. 

Nul besoin de s’éterniser sur le passé, mais notons que la volonté du collectionneur est ancienne : dès 2000, François Pinault souhaite montrer et partager sa collection d’art contemporain avec le plus grand nombre, en proposant de construire un lieu d’exposition sur l’Ile Seguin, à Boulogne Billancourt, qui abritait jusque-là les usines Renault. Dès les balbutiements de ce projet parisien, un architecte est choisi pour signer l’édifice : le japonais Tadao Ando.

Ce projet ne se concrétisant pas, Pinault décidera finalement d’abandonner Paris pour exposer sa collection en Italie, à Venise. Il s’installe en 2005 dans le Palazzo Grassi, qu’il fait rénover par l’architecte Tadao Ando. Puis il étend sa collection jusqu’à la Pointe de la Douane, où il y remporte la concession du bâtiment des Douanes vénitiennes que l’architecte japonais, à nouveau, transforme en espace d’exposition d’art contemporain.

Un troisième lieu sera confié et réaménagé par l’architecte pour la Collection Pinault : la Bourse de commerce de Paris.

Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier, Photo Vladimir Partalo

En effet, c’est la mairie de Paris qui fera finalement un pas vers Pinault. En 2016, la Bourse de commerce, située dans le quartier des Halles, est confiée par un bail emphytéotique à sa Collection. Excellent exemple de complémentarité entre le privé et le public, la collection dispose d’une place de choix dans un monument historique de la capitale, alors que la Mairie de Paris profite d’une effervescence culturelle et surtout de l’entretien de son patrimoine à moindre coût.

La principale particularité de la Bourse de commerce est que le bâtiment est rond. L’édifice est surplombé par une coupole très haute : celle-ci est ornée d’un anneau de peinture décorative datée de la fin du XIXème, puis vitrée sur la partie supérieure. C’est d’ailleurs cette forme singulière, arrondie, qui a été reprise pour l’identité visuelle du lieu. Mais cette importance donnée à la courbe ne vient pas simplement de l’architecture du bâtiment telle que nous le connaissions, mais également de l’aménagement circulaire, sous la coupole, imaginé par Tadao Ando. En effet, l’architecte a pensé à un aménagement concentrique pour les espaces d’exposition : deux galeries circulaires ont été créées. A cette structure en béton, minimaliste, lisse et sans angle, viennent se confronter les peintures IIIème République, retranscrivant une vision coloniale du monde.  

Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier, Photo Maxime Tétard, Studio Les Graphiquants, Paris

La surface au centre de la coupole est laissée vide, dévoilant un immense espace, rappelant la hauteur de la nef du Grand Palais, et donc, espérons-le, les Monumenta, si le choix est fait d’exposer de grandes installations. C’est d’ailleurs ce qui se laisse entendre : une œuvre monumentale de l’artiste Urs Ficher, faite de paraffine, se consumerait au centre de l’espace lors de l’exposition inaugurale.

Parlons ainsi de la programmation de ce nouveau haut lieu de l’art contemporain : celle-ci repose sur la collection de François Pinault, exposée temporairement selon un fil conducteur : de façon thématique, par artiste, selon une sélection curatoriale, … Nous pouvons également lire sur le site de l’institution que cette programmation devrait sortir parfois du cadre stricto sensu de l’exposition de la collection, en offrant des cartes blanches, projets spécifiques, ou commandes.

Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier, Photo Marc Domage

La programmation de cette exposition inaugurale a été gardée secrète de longs mois, avant d’être dévoilée une semaine avant l’ouverture du lieu. Loin de nous l’envie de vous gâcher le plaisir de découvrir les œuvres qui vous y attendent, mais nous retrouvons dans « Ouverture » des œuvres, parfois inédites et spécialement commandées, de grands noms de l’art contemporain.

Chers lecteurs de moins de 18 à 26 ans, vous pouvez adhérer gratuitement au programme Super Cercle pour bénéficier de l’entrée gratuite à partir de 16h et du tarif réduit de 7€ pour une visite avant 16h, sur réservation pour le moment.

Constant Dauré

David Hammons, Cultural Fusion, 2000, 60 x 40 x 140 cm, © David Hammons
Vue d’exposition « Ouverture », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris 2021, Courtesy de l’artiste et de Bourse de Commerce – Pinault Collection. Photo Aurélien Mole

En image de couverture : Rotonde – Vue d’exposition, « Ouverture », Urs Fischer, Untitled, 2011 (détail) © Urs Fischer, Courtesy Galerie Eva Presenhuber, Zurich., Photo : Stefan Altenburger, Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier

[1] A la Bourse de commerce, les œuvres d’une vie de François Pinault, Le Monde, par Roxana Azimi et Raphaëlle Bacqué, publié le 14 mai 2021

Le tour des galeries #3

Le mot s’est passé : les galeries d’art sont ouvertes et sont la quasi-seule manière de se trouver face à des œuvres en ce moment. En témoignent les longues files d’attente de visiteurs devant leurs portes, les galeries étanchent notre soif de culture, par des expositions de qualité pour nombreuses d’entre elles.

Nous commençons ce troisième Tour des galeries dans le 6ème arrondissement, où Gaudel de Stampa expose l’artiste néerlandais Gijs Milius. Pour sa troisième exposition parisienne, Les Curatrices, Daantje, Flappie, etc., l’artiste poursuit son travail au pastel gras, et propose également deux installations faites à partir de bois et mousse.

Dès l’entrée de la galerie, nous sommes projetés dans l’espace : nous contemplons au mur un premier dessin ; nous pouvons y reconnaître une galaxie, vue de loin, ou peut-être un nuage de poussière, de gaz. Cette œuvre donne le ton : tout au long de cette exposition, il sera en effet question d’espace, où le visiteur, d’œuvre en œuvre, change de dimension.

Les Curatrices, 2020, oil pastel sur papier, 50 x 65 cm. Courtesy Gaudel de Stampa, Paris.

Dans cet univers, nous sommes accueillis par les maîtresses des lieux : un couple de curatrices, défiant la distanciation physique de règle ces temps-ci par une inconsciente proximité de leurs visages. En scrutant longuement ces deux figures, nous sommes happés par leurs yeux, quatre billes rondes qui nous apparaissent comme des planètes, puis quatre pupilles noires, denses, dans lesquelles nous voulons plonger. Exposés en face, deux géants trous noirs répondent à ce portrait et accentuent notre vertige face à l’inconnu, à l’obscurité. Nous y retrouvons le travail méticuleux et précis du pastel gras, ainsi que la dimension cartoonesque, fantastique de Gijs Milius.

Gat’s Nachts, 2020, oil stick, pastel gras sur papier, 78 x 60 cm ; Gat’s Avonds, oil stick, wax pastel sur papier, 78 x 60 cm. Courtesy Gaudel de Stampa, Paris.

Sur le mur du fond, est accrochée une perspective. Par quelques lignes ordonnées et un travail des ombres, Gijs Milius a créé un espace tridimensionnel, quasiment le plus rudimentaire qu’il soit. Par la suite, comme un moulage d’empreinte, l’artiste a modelé dans de la mousse cet espace illusoire qu’il a créé. Sous nos yeux, c’est alors toute l’Histoire de l’Art, de la Renaissance aux Concetto spaziale de Fontana qui est recueillie et déposée au centre de la galerie. 

Les Curatrices, Daantje, Flappie, etc. vue d’exposition, janvier 2021. Courtesy Gaudel de Stampa, Paris.

Dans les dernières œuvres de l’exposition, vient se mêler le temps, notion inséparable de celle de l’espace. Face à Flappie, animal de compagnie de l’artiste, nous nous rendons compte du chemin parcouru au fil de l’exposition, comme si nous avions cherché, tout du long, à poursuivre ce lapin.

Flappie, 2020, oil stick, oil pastel, wax pastel sur papier, 30 x 42 cm. Courtesy Gaudel de Stampa, Paris

Vous l’aurez compris, cette exposition est riche de sens, d’interprétations ; il faut s’y rendre !

Les Curatrices, Daantje, Flappie, etc., Gijs Milius, jusqu’au 20 mars 2021, Gaudel de Stampa, 49 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris.

Dans le quartier, profitez-en pour visiter le nouvel espace de la galerie kamel mennour, où dialoguent deux artistes historiques, Phillipe Parreno et Daniel Buren, dans une œuvre créée spécialement pour le lieu.

D’ici votre visite, vous pouvez vous imprégner du travail de Phillipe Parreno en l’écoutant au micro d’Arnaud Laporte dans l’émission Affaires Culturelles de France Culture. L’artiste revient notamment sur sa rencontre avec Daniel Buren et sur la préparation de l’œuvre présentée en ce moment.

Simultanément, travaux in situ et en mouvement, Daniel Buren, Philippe Parreno, jusqu’au 27 février 2021, kamel mennour, 5 rue du Pont de Lodi, 75006 Paris.

Une autre exposition remarquable se trouve à la galerie Levy Gorvy, dans le 3ème arrondissement : Horizons. Cette exposition de groupe est curatée par l’artiste Etel Adnan, avec la collaboration de Victoire de Pourtalès.

La notion d’horizon nous rappelle les œuvres de l’artiste, où nous pouvons découvrir des paysages créés par des aplats de peinture. Le spectateur assimilera alors l’une ou l’autre des lignes de la toile à cette rencontre entre le ciel et la terre ou la mer.

Vue d’exposition, Horizons, curatée par Etel Adnan, Lévy Gorvy Paris, février 2021

Etel Adnan a ainsi réuni autour d’elle un ensemble de neuf artistes dont les créations dialoguent avec son œuvre, dont une magnifique série de cinq toiles est exposée. Nous retrouvons l’attachement au Liban chez Christine Safa – jeune artiste dont le travail me plaît beaucoup -, l’usage de la couleur vive chez Ugo Rondinone, la dimension historique de son travail chez Joan Mitchell, autre artiste majeure pour l’abstraction, ou encore des céramiques de sa compagne, Simone Fattal.

Mais la notion d’horizon évoque aussi la possibilité de regarder vers un futur avec confiance, de tenir un cap, de pouvoir développer des projets. Dans son nouveau texte poétique, Etel Adnan revient sur son itinérance tout au long de sa vie, entre son pays natal, le Liban, la Californie et la France. Horizons évoque ainsi le vécu de l’artiste, tiraillé entre différentes cultures, avec des perspectives de vie souvent chamboulées.

Vous pouvez en découvrir davantage sur Etel Adnan grâce à Margaux Brugvin qui revient sur les étapes marquantes de sa vie dans l’une de ses vidéos IGTV :

Horizons, curatée par Etel Adnan, jusqu’au 20 mars 2021, Lévy Gorvy Paris, 4 passage Sainte-Avoye (entrée par le 8 rue Rambuteau, 75003 Paris.

A quelques centaines de mètres, est exposé Christian Boltanski. Il s’agit de sa première exposition après sa rétrospective au Centre Pompidou, l’hiver dernier, mais aussi après la pandémie mondiale. Après, est ainsi le titre de l’exposition.

2020 a marqué l’artiste en ce que la mort, thème largement exploré dans son œuvre, a été placée au premier plan : au plus fort de l’épidémie, chaque jour, le nombre de morts été annoncé, nous avons vécu dans l’incertitude, avec l’angoisse de perdre des proches.

«  L’expérience que je souhaite pour le public qui vient visiter chacune de mes expositions n’est pas forcément de comprendre mais de ressentir que quelque chose a eu lieu  »

Christian Boltanski dans Faire son temps, Ed. Centre Pompidou, Paris, 2019, entretien entre C. Boltanski et B. Blistène, p.63
Vue d’exposition, Après, Christian Boltanski, Galerie Marian Goodman, Paris, février 2021

Ce qui est marquant dans cette exposition est la capacité de l’artiste à transformer l’espace de la galerie en une suite d’installations, nous plongeant dans son univers, dans ses œuvres, à travers une esthétique qui lui est propre. « L’expérience que je souhaite pour le public qui vient visiter chacune de mes expositions n’est pas forcément de comprendre mais de ressentir que quelque chose a eu lieu » déclare l’artiste, ce qui est rendu possible par cette fantastique scénographie.

Vous pouvez réserver votre visite directement sur le site de la galerie, en suivant ce lien !

Après, Christian Boltanski, jusqu’au 13 mars 2021, Galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris.

La galerie Templon expose une nouvelle série de peintures récentes de Claude Viallat, riches en couleurs, formes mais également explorations : on remarquera l’utilisation nouvelle de tissus provençaux, reliant telles des sutures les toiles marqués du motif de l’artiste. Et comme on ne rate jamais une occasion de se trouver face à des œuvres du maestro, je vous invite à vous y rendre. Vous pouvez également retrouver l’artiste au micro de d’Arnaud Laporte, qui revient sur les temps forts de sa carrière jusqu’à la question de sa postérité.

Détail d’une œuvre de Claude Viallat exposée actuellement à la Galerie Templon.

Sutures et Varia, Claude Viallat, jusqu’au 20 mars 2021, Galerie Templon, 28 rue du Grenier Saint-Lazare, 75003 Paris.

Enfin, vous pouvez vous rendre à la Galerie Perrotin, qui expose en ce moment de jeunes peintres. On peut y voir des œuvres d’Alex Foxton et Mathilde Denize, que nous avions découverts à la galerie Derouillon et dont nous avions beaucoup aimé le travail. Rendez-vous cette fois-ci rue de Turenne !

Les yeux clos, jusqu’au 27 mars 2021, Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris.

CONSTANT DAURÉ

« L’Amazone Érogène » Prune Nourry s’expose au Bon Marché Rive Gauche

«Être une artiste signifie guérir continuellement ses propres blessures, et en même temps les exposer sans cesse» déclarait Annette Messager. Cette citation prend tout son sens face à l’œuvre de Prune Nourry.

Pour célébrer le Mois du Blanc, Le Bon Marché Rive Gauche a donné carte blanche à l’artiste pour investir la verrière centrale du grand magasin, ainsi que les vitrines de la rue de Sèvres.

Au centre de l’atrium, deux cibles géantes en forme de sein sont dressées de part et d’autre de l’escalator. L’une est assaillie par une nuée de flèches, la seconde est pointée par un arc immense dont la flèche est prête à s’élancer.

L’Amazone Érogène, projet pour les verrières centrales, 2020. © L. Léonard, G. Drossart, Prune Nourry Studio

Inspirée par la légende des archères qui se tranchaient le sein droit pour tirer plus aisément, Prune Nourry nous livre « L’Amazone Érogène », une œuvre qui dépasse la catharsis personnelle pour toucher chacun de nous. En effet, au-delà de l’évocation du cancer du sein qui a frappé l’artiste, cette œuvre aux significations multiples provoque des compréhensions infinies.

L’Amazone Érogène, 2020. © Grégoire Machavoine

L’exposition devait se tenir jusqu’au 21 février 2021, mais le grand magasin a fermé ses portes suite aux restrictions liées à l’épidémie, et ce jusqu’à nouvel ordre. Après avoir contemplé l’œuvre de Prune Nourry, nous avons échangé avec Eléna Fertil, responsable des Projets Culturels du Bon Marché, au sujet de la carte blanche.

Lorsque nous découvrons le projet in situ, le choix de l’artiste nous paraît bien sûr évident. Mais il doit en être autrement pour vous à la conception des projets. Quel est le premier aspect qui a retenu votre attention dans la pratique de Prune Nourry et qui vous a amené à la contacter ?

L’œuvre de Prune Nourry est très riche de sens et de références scientifiques, sociologiques, artistiques. Avant tout je crois que c’est sa détermination qui nous a séduits. Dans son documentaire « Serendipity » sorti en 2019 on la voit faire face à l’épreuve du cancer du sein avec obstination et sensibilité, cherchant du sens dans cette épreuve. Etrangement les questionnements interrogés dans ses œuvres passées rencontrent un certain écho dans cet évènement personnel, c’est troublant et touchant.  

C’est à la suite d’une avant-première de ce film que Frédéric Bodenes, Directeur artistique et image du Groupe Bon Marché a rencontré Prune Nourry.

Prune Nourry, 2020. © Le Bon Marché Rive Gauche

Prune Nourry propose pour le Bon Marché une œuvre très personnelle, empreinte de son expérience face à la maladie, en l’occurrence un cancer du sein. Mais par cette installation, il y a également une prise de parole du grand-magasin, par laquelle chacun est interpellé et concerné. Comment s’est façonné le propos de l’exposition ?

« L’Amazone Erogène » met en lumière le combat de (trop) nombreuses femmes contre la maladie. La maladie affecte aussi les amis, les proches, l’entourage et la société dans son ensemble. Prune Nourry transfigure les malades en héroïnes de leur propre combat faisant le parallèle avec la figure antique de l’amazone guerrière. Cette installation invite aussi à une réflexion universelle sur la valeur de la vie, via la guérison, la vie qui se poursuit et la procréation. Prune Nourry assimile ainsi les flèches à une nuées de spermatozoïdes allant féconder un ovule. C’est toute la puissance de la vie qu’elle exprime, dans une optique combative et, on l’espère, victorieuse.

Comment se déroule concrètement la réalisation d’un projet artistique comme celui-ci ? C’est une carte blanche donnée à l’artiste, mais est-ce que vous l’accompagnez tout au long de la production ? Est-ce qu’il vous arrive d’intervenir ?

L’artiste est invité à imaginer une œuvre pour les espaces du Bon Marché Rive Gauche. Ceux-ci sont particuliers dans la mesure où les œuvres sont suspendues à une verrière ou exposées en vitrines, ce contexte modèle et influence déjà la réflexion de l’artiste. Nous collaborons ensuite avec l’artiste à toutes les étapes du projet avec une équipe interne dédiée. Nous l’aidons à faire advenir son projet et à le transmettre aux visiteurs en éditant un catalogue d’exposition, en proposant des temps de rencontre avec l’artiste…

Nous partageons également avec chaque artiste un épisode marquant de l’histoire du Bon Marché Rive Gauche : c’est Aristide Boucicaut, le fondateur du magasin, qui inventa le Mois du Blanc en 1873. Nous leur demandons donc, en clin d’œil à notre histoire, d’intégrer la couleur blanche dans leur création, chaque artiste s’approprie ce patrimoine différemment. 

Prune Nourry à l’atelier, 2020. © Le Bon Marché Rive Gauche

Le projet artistique ne se limite pas à l’installation, puisque nous avons pu découvrir une chanson écrite par Daniel Pennac et Prune Nourry, composée et interprétée par -M- et Ibeyi, dont le clip a été tourné autour de l’installation du magasin. Comment la rencontre de ces cinq artistes s’est-elle faite ?

Pour l’inauguration de cette exposition dans un contexte de crise sanitaire nous avons tout de suite pensé à un format digital. Prune Nourry a souhaité en faire une œuvre en soi, un film artistique, et réunir autour d’elle des amis talentueux pour écrire et créer ensemble autour de « L’Amazone Érogène ». Nous avons donc réalisé ce clip, tourné de nuit au Bon Marché Rive Gauche, l’exposition y prend une nouvelle forme.

Daniel Pennac a également écrit pour le catalogue de l’exposition une lettre savoureuse et touchante qu’il adresse à Prune et aux amazones.

Pour la première fois, les fragments de l’œuvre sont proposés à la vente, directement sur le site de l’artiste, dans le but de récolter des fonds permettant la distribution du livre à paraître « Aux Amazones » à des femmes atteintes du cancer. Que pourrons-nous retrouver dans ce livre et comment l’avez-vous pensé ?

Les 888 flèches qui composent l’installation visible sous les verrières centrales sont en vente via le site du studio de l’artiste dans un but non-lucratif. Prune Nourry souhaite ainsi pouvoir distribuer un certain nombre d’exemplaires de son prochain livre gratuitement, à des femmes atteintes du cancer. Elle l’a pensé comme un véritable outil, réalisé en collaboration avec de nombreux spécialistes et scientifiques pour proposer à ces femmes des idées pour être créatives et proactives face à la maladie.

L’Amazone Érogène, travail en cours, 2020. © Studio Prune Nourry

La carte blanche du Bon Marché devient maintenant un projet artistique installé dans le paysage culturel, que l’on attend en début janvier. Les projets nous ont plongés dans des univers différents, depuis les cerfs-volants d’Ai Weiwei jusqu’aux gouttes de pluie fleurissantes de Nendo. Quel est le plus beau souvenir que tu gardes de ces six projets ?  

J’en retiens deux : le jour où nous avons appris qu’Ai Weiwei avait récupéré son passeport et pourrait se déplacer à Paris pour l’installation et l’inauguration de son exposition « Er Xi » au Bon Marché. Il en avait été privé 4 ans auparavant par les autorités chinoises, c’était inespéré ! Et pour chaque projet l’excitation des montages d’exposition la nuit, magasin fermé, avec l’artiste et toute l’équipe d’installation, c’est la concrétisation d’un processus débuté un an auparavant. 

L’Amazone Erogène, dessin technique. © Prune Nourry Studio

Tu as travaillé dans des institutions culturelles par le passé et cela fait maintenant plusieurs années que tu es au Bon Marché responsable des projets culturels ; on peut ressentir que les projets entre le secteur du luxe et le milieu culturel s’intensifient, comment vois-tu cette évolution ? Quels types de projets souhaiterais-tu découvrir davantage ? 

Il y a toujours eu des liens étroits entre le milieu de la mode et le monde de l’art, entre les créateurs et les artistes. Raoul Dufy dessinait pour Paul Poiret, Sonia Delaunay a confectionné des casques auto dans les années 1920, Elsa Schiaparelli a côtoyé Dali, Cocteau… Aujourd’hui ces collaborations fleurissent dans tous les secteurs : le luxe mais aussi l’urbanisme, l’immobilier avec des projets comme 1 immeuble 1 œuvre… Sans nécessairement aller au musée ou en galerie chacun peut rencontrer une œuvre, vivre une expérience esthétique. Ce sont autant d’opportunités intéressantes pour les artistes tant que l’intégrité et la valeur de leur œuvre sont respectées. Les grandes expositions des musées et des centres d’art ainsi que la recherche sont évidemment nécessaires, on s’en nourrit, il est grand temps que le public puisse d’ailleurs y retourner. Mais on ne peut que se réjouir que le terrain de jeu des artistes s’élargisse et dépasse les murs des lieux qui leurs sont dédiés.

Prune Nourry, « L’Amazone Érogène », jusqu’au 21 février 2021 au Bon Marché Rive Gauche, Paris 7e. Et si le magasin ne réouvre pas d’ici là, nous vous invitons à découvrir l’installation à travers la vidéo ci-dessous. Merci beaucoup Eléna d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !  

CONSTANT DAURÉ

Retour sur Living Cube #4, avec sa fondatrice, Élodie Bernard

Découvrir de nouveaux artistes, échanger sur les œuvres en toute convivialité et repartir avec l’une d’entre elles sous le bras, voilà le format rêvé d’une exposition. C’est du moins ce que propose Élodie Bernard, commissaire d’exposition et enseignante en arts plastiques, avec Living Cube. Au sein de son appartement à Orléans, Élodie reçoit des amateurs d’art pour présenter une collection éphémère d’œuvres, glanées au fil de ses rencontres et visites d’atelier.

Ce qui est plaisant avec ce format, c’est qu’il se situe entre le centre d’art, où la création contemporaine est présentée et soutenue, et la galerie, puisque toutes les œuvres sont à vendre, pour tous les budgets. J’admire chez Élodie son authenticité et son entrain, et ce à tous les niveaux de la vie d’une œuvre. Que ce soit auprès des artistes – le plus souvent émergents – qu’elle soutient, lors de médiation et d’échanges avec les curieux amateurs qu’elle reçoit, ou lorsqu’il s’agit de conseiller et d’accompagner des collectionneurs ; elle sait installer une relation de confiance.

Malgré les incertitudes liées à la crise sanitaire, la quatrième édition de Living Cube s’est tenue du 23 octobre au 8 novembre 2020, avec l’aide d’Albane Dumas qui a développé les partenariats. Après avoir visité l’exposition, j’ai posé quelques questions à Élodie pour revenir sur cette dernière édition et échanger sur son ressenti dans ce contexte si particulier pour la culture.

Le bureau. Peinture par Olivier Nevret, circles & squares, 2020.
Au sol, Xenia Lucielaffely, série de coussins impressions velours, 2020.

Une installation ready-made de Léo Fourdrinier, un tirage de Jean-Baptiste Bonhomme, une peinture minimaliste, quasi conceptuelle d’Olivier Renevret ou un fusain de Diego Movilla : on remarque une sélection éclectique d’œuvres, traversant différents univers et références. Comment as-tu réalisé ta sélection cette année ?

La sélection de cette année a été plus complexe à réaliser, dans la mesure où, le temps passé dans les ateliers a été réduit à cause de la situation actuelle.

J’ai donc choisi de présenter des œuvres que j’avais vues lors d’expositions ou de salons. Pour le choix, je n’ai rien changé, l’idée étant de me fier à mon instinct, de choisir les pièces de manière intuitive. Se fier à ce que l’œuvre éveille en moi lors de notre rencontre.

Est-ce que tu veux nous parler d’une œuvre en particulier ?

Avec plaisir ! Je te propose de nous arrêter sur le grand dessin de Grégory Cuquel « Blabla, au grand apéro » réalisé en 2020. On y voit différents éléments collés sur un grand format, des verres à pied à peine griffonnés, des carafes sur lesquelles sont dessinés des visages : on reconnaît Apollinaire ou encore Picasso, des dessins sur fond de papier bleu ciel ou parme, des mains qui arrivent dans le cadre, piochant ici une olive, posant sa cendre de cigarette là. On devine la végétation, le vert domine la composition. C’est un dessin qui est plein d’énergie, on a envie de s’attarder avec tout ce groupe, sorte d’apéro idéal, dans lequel Grégory Cuquel a réuni une majeure partie de ses modèles. C’est en quelques sortes le Déjeuner sur l’herbe de notre époque.

La salle à manger. De gauche à droite : Jean-Baptiste Bonhomme, Home sweet home, 2020;  Grégory Cuquel, Blabla au grand apéro, 2020; Julien Desmonstiers, Canicule, 2019.

L’annonce d’un deuxième confinement est tombée en plein milieu de l’évènement. L’œuvre choisie pour le visuel de l’exposition, Home sweet home de Jean-Baptiste Bonhomme, semble alors reprendre tout son sens, nos esprits étant piégés entre les murs de nos maisons. Tu as eu cependant la chance d’être confinée entourée de toutes ces œuvres. Comment s’est déroulée cette édition particulière de Living Cube ?

Living Cube n’est pas une exposition comme les autres. Comme tu as pu en vivre l’expérience, il s’agit de plusieurs rendez-vous conviviaux. Toujours en petit comité avec la présence d’un ou deux artistes autour d’un brunch, d’un dîner, d’un café, afin de créer une atmosphère propice à l’échange, d’envisager une autre façon d’appréhender l’œuvre et la collection. Nous avons eu la chance d’ouvrir une semaine avant les annonces gouvernementales. Le public a donc pu profiter un minimum de l’accrochage et surtout de la présence des artistes le premier weekend d’ouverture. Puis l’annonce est tombée, c’était un coup de massue pour moi. Heureusement, Albane Dumas, ma collaboratrice toujours pleine d’énergie, m’a suggéré de maintenir les rendez-vous. Nous avons donc fait le choix de maintenir la possibilité de prendre rendez-vous afin de venir voir les œuvres, en vrai. Bien sûr, ça reste un projet modeste, mais il est important pour nous de soutenir les artistes jusqu’au bout et ça passe par là, maintenir coûte que coûte, l’accès à l’art.

Living Cube permet avant tout de faire découvrir et partager la création contemporaine, mais est également construit autour de la passion de la collection d’art. On a souvent comme idée que collectionner serait réservé à un cercle restreint de personnes, de grands connaisseurs, ou de grandes fortunes. Par Living Cube, chacun est invité à compléter sa collection ou à la commencer. Comment est-ce que ce que le déclic d’acheter une œuvre se fait selon toi ?

Très bonne question. Le coup de cœur ? Je crois que ce qui déclenche l’envie de partager son quotidien avec une œuvre, c’est le fait de l’avoir en tête tout le temps après l’avoir vue en vrai. Impossible de s’en défaire, et je sais de quoi je parle (rires).

Tu présentes dans l’exposition des peintures de Bruno Peinado, figure historique dans le paysage français. Tu me confiais que c’était un immense honneur pour toi de présenter les œuvres d’un artiste que tu as étudié et qui t’a marqué dans ta jeunesse. Quels seraient pour toi l’artiste -mort ou vivant- ou l’œuvre, que tu rêverais de voir dans une édition de Living Cube ?

Il y en a tellement! Je rêverai de montrer une Marquee de Philippe Parreno, mais là il faudrait que j’ai un château ! Les sérigraphies de John Giorno, pour leur irrévérence, les aquarelles de Pierre Ardouvin. Je pense aussi aux tapisseries de Laure Prouvost, aux sculptures d’Ann Veronica Janssens… Bref, la liste est longue, mais les éditions ne sont pas terminées, l’an prochain nous fêtons les 5 ans et je ne compte pas m’arrêter là !

Le bureau. Léo Fourdrinier, Dogs monologue, 2017. Au mur de gauche à droite: Mël Nozahic, La monture, 2018; Mes adieux, 2017.

Living Cube est résolument ancré à Orléans, par la communauté d’amateurs et de collectionneurs que tu as su créer, mais aussi par les différentes entreprises partenaires -parfois bien éloignées de l’art contemporain à première vue- qui t’accompagnent. L’actualité culturelle et du marché de l’art est chamboulée par les raisons que nous connaissons tous. L’ouverture de Living Cube s’est tenue le week-end où la FIAC aurait dû se tenir. J’ai l’impression que cette absence d’actualité parisienne semble recentrer l’attention de chacun sur les initiatives locales, ce qui me semble une bonne chose. Qu’en penses-tu ?

Je ne vais pas dire le contraire, bien que je sois une amoureuse de la semaine FIAC ! C’est une bonne chose oui, car il y a énormément de structures qui proposent des programmations de qualité hors de Paris et ça, depuis longtemps. Je trouve ça dommage que les projecteurs soient tournés vers les régions et les projets à échelle locale seulement maintenant. De plus, les projets – je préfère ne pas parler d’initiatives, je trouve que cela est réducteur pour les acteurs du milieu culturel déjà inscrits dans une démarche qui prend place sur les territoires – qui se développent en région n’ont pas perdu de vue l’Humain. Car l’art et la culture sont avant tout des aventures humaines.

Plus largement, nous nous intéressons actuellement chez Zao aux bouleversements que la crise du Covid pourrait engendrer pour le secteur culturel. Par ta proximité avec les institutions culturelles et artistes, de quelle façon penses-tu que cette crise pourrait modifier le paysage artistique ?

Difficile de se projeter, peut-être que cela va se jouer d’une part, dans l’ampleur des projets, en en finissant avec les expositions « évènementielles », en repensant les foires et les salons.

D’autre part sur la relation humaine : remettre au cœur de la création l’artiste, l’œuvre et le spectateur. Mais ça c’est dans le meilleur des mondes, car la dure réalité est déjà entrain de frapper les lieux culturels et les artistes. Des lieux ferment, comme le Centre d’art du Parc Saint Léger de Pougues-les-eaux, ou encore plus gros, le Mo.Co à Montpellier…

Cette édition vient de se terminer, cela fait maintenant la quatrième année : qu’est-ce que cette expérience t’apporte et qu’est ce qui te pousse, chaque année, à recommencer cette aventure ? 

Living Cube me permet de traverser la France de droite à gauche et de haut en bas pour découvrir des démarches artistiques, ça me permet d’étendre mes connaissances et de rencontrer beaucoup de monde. D’avoir un contact privilégié avec les artistes, d’établir une relation de confiance. Être au cœur de l’atelier, voir les œuvres en cours de création. Prendre le temps d’échanger sur la pratique, écouter les incertitudes, les questionnements des artistes. C’est tellement enrichissant. C’est aussi l’envie de partager avec un grand nombre ce plaisir à regarder une œuvre, en la présentant à un public. Chaque année, de nouvelles personnes viennent voir l’exposition. Ce qui est beau, c’est que tous et toutes ne sont pas forcément des spectateurs avertis. Ils sont curieux et ouverts ! Leur regard se construit et leur sensibilité s’affine au fur et à mesure des éditions et ça, c’est vraiment une belle preuve de réussite pour ce projet. C’est tout ça qui fait que chaque année j’ai envie de continuer !

Le salon. Au mur, des toiles de Bruno Peinado et Mael Nozahic cohabitent avec les sculptures d’Ugo Schiavi.

Tu as également signé récemment l’exposition AFTERPARTY à la Fondation du doute de Blois, avec une géniale sélection d’artiste. Quels sont tes futurs projets, ou qu’est-ce que nous pouvons te souhaiter pour les mois à venir ? 

AFTERPARTY réunit plusieurs artistes avec lesquels nous travaillons depuis quelques années et que vous avez probablement déjà vu passer dans Living Cube. Pour les prochains projets, ce sera pour la galerie La peau de l’ours à Bruxelles en janvier. Il s’agit d’une exposition collective autour de la peinture, du quotidien et du geste quotidien sur laquelle je travaille en ce moment même, avec Dorian Cohen, Marie Dupuis, Amandine Maas et Lise Stoufflet. Sans oublier que nous préparons activement les 5 ans de Living Cube avec une grande nouveauté en perspective, qui devrait être dévoilée d’ici janvier !

Merci Élodie pour ta disponibilité ! Nous te retrouvons sur ton compte Instagram @regard_b, et pour les plus curieux, l’exposition continue sur @livingcubexhibition. Vous pouvez également revivre l’expérience de Living Cube par cette vidéo de WIP ART réalisée l’année dernière.

À très bientôt et « tout le meilleur » pour tes futurs projets !

CONSTANT DAURÉ

Le tour des galeries #2 retour dans le cube blanc !

Pendant deux mois, j’ai pu vivre comme un grand collectionneur : faire Art Basel plusieurs jours de suite et y connaître le prix des œuvres, assister à des conversations entre artistes, galeristes et curateurs, enchaîner en une semaine des expositions entre Paris, New-York et Londres. Ok. Mais tout ça, virtuellement. Et le rapport, physique, aux œuvres, la sensation de rentrer dans les espaces des galeries, me manquaient terriblement.

Deux mois et demi plus tard, les galeries ré-ouvrent au public. Quel plaisir de pouvoir à nouveau faire ce qu’il y a de mieux : visiter des expositions, découvrir des artistes, se trouver face à l’œuvre. Nous voilà de retour dans le cube blanc !

Avant de vous présenter ma sélection d’expositions, je tiens à vous dire que je suis encore dans ma ville de confinement, Orléans, et que je n’ai donc pas – encore – visité les expositions parisiennes citées. (Ceci explique également pourquoi les photos de ce tour des galeries seront des posts Instagram, et non mes photos).

J’ai profité d’être à Orléans pour me rendre au Pays où le ciel est toujours bleu pour la réouverture de l’exposition 300 dpi av. J.-C. de Yoan Beliard. C’est un lieu qui me tient particulièrement à cœur puisque j’ai pu m’y familiariser avec l’art contemporain et y rencontrer des artistes dans mes années lycée. 

Si ce qui nous a manqué pendant le confinement est la matérialité de l’œuvre, alors cette exposition tombe à pic pour une visite post-quarantaine. Le travail des matières et le rendu en plusieurs dimensions semblent bien les enjeux de ces œuvres. Du plâtre, des briques, du béton, de la fibre, de la peinture aérosol, du toner, sont travaillés en différentes formes sur de larges châssis métalliques apparents, ou façonnés en jarres.

Le titre de l’exposition nous plonge dans un tunnel temporel, liant antiquité et imprimante toner. Puis la lecture des œuvres se fait petit à petit, surfaces par surfaces. Les bribes de photocopies de vestiges archéologiques forment des images ; les matières utilisés, pauvres, sont sublimées à nos yeux en marbre ou pierres incrustées. Vases, minéraux et fossiles, nous réalisons que l’exposition nous transporte dans les réserves d’un musée archéologique.

Orléans, profitez de votre envie d’exposition pour visiter Le pays où le ciel est toujours bleu ! Et pour les plus curieux, voici le site de l’artiste.

300 dpi av. J.-C. , Yoan Beliard, du 28 mai au 21 juin 2020, Le pays où le ciel est toujours bleu, 5 rue des Grands Champs à Orléans, jeudi – dimanche, 15h – 18h30

Les œuvres de Jean-Philippe Delhomme ont accompagné mon confinement et l’ont égayé, grâce à ses nombreuses images de quarantaine sur Instagram : natures mortes, portraits, vues du boulevard ou scènes d’atelier, j’ai été particulièrement touché par ces peintures, dessins et encres qui saisissaient ce rapport inédit à nos espaces intérieurs. Cela sans me douter qu’une exposition de ses peintures se préparait à la galerie Perrotin. S’il ne s’agit pas des œuvres créées durant le confinement, une autre aventure est présentée : son voyage à Los Angeles.

Dans cette exposition, le peintre, également connu pour ses talents d’illustrateur et son personnage « the Unknown Hipster » suspend à nouveau le temps et rend hommage à la ville, à travers un arrêt sur image de différentes scènes de vie.

Los Angeles Langage, Jean-Philippe Delhomme, du 23 mai au 14 août 2020, Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h.

Jean-Philippe Delhomme est également en résidence sur le compte Instagram du Musée d’Orsay, où il y publie chaque semaine un dessin, imaginant ce que serait les posts Instagram des grands artistes du musée.

Notons que la galerie Perrotin présente deux autres expositions, celle de Gabriel Rico, et Restons Unis, initiative solidaire que nous pouvons saluer. En effet, la crise covid-19 impactant le marché, Emmanuel Perrotin, certainement l’un des galeristes français les plus connus à l’international, a choisi d’inviter certains de ses homologues parisiens à une union sacrée. A travers quatre expositions du 23 Mai au 14 Août, vingt-six galeries parisiennes exposent leurs artistes dans les murs de la galerie Perrotin, de quoi donner de la visibilité et se montrer solidaires.

Restons Unis, du 23 mai au 14 août 2020, Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h

Œuvres de confinement

Ainsi, la crise du covid bouscule la programmation des galeries. Et quand est-il des artistes ? Je souhaiterais maintenant vous faire découvrir deux expositions d’un nouveau genre : « œuvres de confinement ».

Ludovilk Myers avait une exposition personnelle de prévue pour Juin 2020. Mais, comme pour beaucoup de parents, il s’est retrouvé à la maison avec son fils à occuper tous les jours. C’est pourquoi ce solo show s’est transformé en exposition à quatre mains, véritable retour en images sur le programme de confinement à l’atelier avec Camille, 4 ans : peinture de fleurs, collage de paillettes, sessions Animal Crossing ou puissance 4 et morpions géants.

Ludovilk Myers est peintre et designer graphique. Merveilleux coloriste, son travail explore actuellement l’abstraction, par des aplats de couleurs souvent rehaussés et travaillés au airbrush. Mais cette exposition poursuit les précédentes expérimentations picturales père/fils, puisque l’artiste a déjà édité un recueil de dessins à quatre mains, Massif Central,  et publie régulièrement des dessins, collages ou peintures de son fils sur un compte Instagram dédié, ambiance « art contemporain et tétine ».

Je vous laisse vous aventurer plus largement dans le travail de Ludovilk Myers, sur son compte Instagram @ilkflottante et son site internet, ainsi que les recherches plastiques menées par son fils @bananepatten, et vous invite à découvrir l’exposition :

Confinés, Ludovilk Myers, du 3 au 21 juin 2020, Happy Gallery, 17 Rue Victor Massé, 75009, Mercredi – samedi, 14h – 18h

Le solo show de Damien Cabanes à la galerie Éric Dupont a été interrompu par le confinement, après seulement quelques jours d’exposition. La quarantaine passée, la galerie ré-ouvre son espace, mais accueille les visiteurs avec un nouvel accrochage d’œuvres encore fraîches. Ces fleurs, sur toiles libres de grands formats, ont été peintes pendant le confinement.  Si l’artiste continue à peindre des fleurs et bouquets, thème récurrent pour lui, ce contexte particulier de création transforme selon moi notre façon d’appréhender ces œuvres.  

Œuvres de confinement, Damien Cabanes, du 27 mai au 13 juin 2020, Galerie Eric Dupont, 138 rue du Temple, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h

Si je parlais de l’utilisation d’airbrush dans le travail de Ludovilk Myers, un autre maestro de cette technique est exposé actuellement à Paris, à la galerie Ruttkowski;68, située dans le même arrondissement que les galeries Perrotin et Eric Dupont. Antwan Horfee maîtrise en effet cette incroyable technique, qui pourrait caractériser ses peintures fantastiques et évanescentes. A travers ces toiles et dessins exposés, nous accédons à l’univers fourmillant et fascinant de l’artiste, à découvrir absolument.

GOONS !, Antwan Horfee, du 23 mai au 28 juin 2020, Ruttkowski;68, 8 rue Charlot, 75003, mardi – samedi, sur rendez-vous (11 – 19h)

Merci pour votre lecture et belles découvertes. A bientôt !

Constant Dauré

Le tour des galeries #1

Nouvelle chronique pour Zao Magazine ! Le tour des galeries présente les expositions qui ont le plus attiré mon attention, mais surtout, vous invite à pousser les portes des galeries parisiennes pour découvrir les œuvres.

Commençons cette sélection par un espace qui m’est cher, le 6 rue du Pont de Lodi dans le 6ème arrondissement de Paris, où la Galerie Kamel Mennour présente des dessins, une installation, et surtout, un grand ensemble de statues de l’artiste Martial Raysse. 

Les Statues ! est en effet le nom de l’exposition, où celles-ci viennent se nicher tout autour d’une grande cimaise en arc de cercle installée spécialement pour l’occasion, transformant notre perception du lieu. Jouant avec les matériaux, les dimensions, les techniques et les références, je vous engage vivement à venir découvrir ce monde qui grouille sous la verrière.  

Vues de l’exposition, Martial Raysse, Les Statues !, kamel mennour

Martial Raysse, Les Statues !, jusqu’au 7 mars 2020, kamel mennour, 6 rue du Pont de Lodi, Paris 6.

Suite à votre visite, profitez-en pour vous rendre à l’espace du 47 rue Saint-André-des-Arts, Paris 6, pour visiter l’exposition consacrée à François Morellet, ainsi qu’à la galerie Kreo, 31 rue Dauphine, Paris 6, où sont présentées des créations de design de l’incontournable Virgil Abloh.

Second coup de cœur pour cette chronique, je vous amène rue Quincampoix, à la galerie Dohyang Lee, pour le premier solo show parisien de Thomas Wattebled. 

J’ai eu la chance de rencontrer Thomas Wattebled et de visiter son atelier lors de l’exposition Living Cube à Orléans en octobre 2019 . L’artiste était alors en pleine préparation de cette exposition, et j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver ses œuvres, exposées dans l’espace de la galerie. 

Vues d’atelier. Octobre 2019

P R E S Q U E questionne la société de performance dans laquelle nous vivons , notamment par ces surprenantes sculptures constituées de whey et créatine, érigées à la sueur de l’artiste. Ces Mégamasses, menhirs contemporains ou portraits de culturistes, vous accueilleront pour vous initier au travail de l’artiste, puisque des œuvres de différentes séries sont exposées. 

Avant de vous rendre à la galerie, vous pouvez vous échauffer en visionnant la visite d’atelier réalisée par WIP Art. J’enrichis également cette chronique avec un lien direct vers la conversation entre Thomas Wattebled et Camille Bardin pour Jeunes Critiques d’Art – YACI.

Vue d’exposition. Thomas Wattebled, Mégamasse, 2020

Thomas Wattebled, P R E S Q U E, jusqu’au 22 février 2020 Galerie Dohyang Lee, 73-75 rue Quincampoix, Paris 3.

La galerie Papillon présente en ses murs les fruits de la dernière résidence LVMH Métiers d’Art, où Sabrina Vitali s’est installée à la Manufacture Renato Menegatti en Italie.  

Transportés par le récit de Léa Bismuth et les photographies de l’ouvrage Fabrica consultable à l’entrée de la galerie, nous nous représentons le cœur de l’expérimentation, entre l’usine et l’atelier, où le savoir-faire des artisans se lie à la curiosité de l’artiste. Aboutissement de six mois de travail, chacune des œuvres exposées présente un rendu original de la matière, élément central de cette résidence.

Sabrina Vitali, Fabrica, jusqu’au 22 février 2020, Galerie Papillon, 13 rue Chapon, Paris 3.

Vues d’exposition, Sabrina Vitali, Fabrica, Galerie Papillon

À la suite à cette exposition, j’ai été interpellé par le mur de sculptures de savon de Myriam Mihindou, chez Maïa Muller, et je vous propose, à votre tour, d’aller découvrir les œuvres cette artiste, au 19 rue Chapon.

Vue d’exposition, Myriam Mihindou, Affinités électives, Maïa Muller