Galeries commerciales et musées publics : les liaisons dangereuses ?

Historiquement proches, les galeries d’art commerciales et les musées publics français se sont toujours acoquinés, que ce soit pour des achats ou des prêts d’oeuvres. Le musée peut ainsi renflouer ses collections ou faire une beauté à ses expositions, tandis que la galerie bénéficie du sceau de légitimité de l’institution muséale, faisant entrer ses artistes un peu plus dans l’histoire de l’art… tout en faisant monter leur cote. Face à ce phénomène grandissant et qui prend de multiples formes innovantes, Zao s’est intéressé aux stratégies de partenariats entre galeries commerciales et musées publics.

Les 24 et 25 octobre 2020, quelques jours avant le confinement qui nous frappe une deuxième fois, « WANTED! » s’est tenu au sein du Grand Palais. Le concept ? Une chasse au trésor bien particulière avec en guise d’objets à trouver, des oeuvres d’artistes contemporains. Les visiteurs étaient invités à se transformer en archéologues modernes pour explorer et déterrer les objets rares enfouis dans la jungle de fer qu’est la Nef du Grand Palais. Les chanceux découvrant les oeuvres pouvaient les garder. 

Daniel Arsham, Xavier Veilhan, Jean-Michel Othoniel, Laurent Grasso, Bharti Kher, Takashi Murakami, Elmgreen & Dragset, Bernard Frize, Emily Mae Smith… 20 artistes français et internationaux ont joué le jeu et ont vu leurs oeuvres cachées dans l’immense espace de 13  500 m2. 

Publication de l’Instagram WANTED! avec l’oeuvre de Jean-Michel Othoniel à trouver
@wanted__gp

Les médiateurs sur place nous soufflent que les sessions atteignent parfois 500 visiteurs. Avec seulement 20% de capacité d’accueil dû au Covid-19, tout le monde croit avoir sa chance. Mais impossible de leur soutirer le lieu de la prochaine cachette.

Toutefois, la véritable particularité de cet événement tient du fait qu’il ait été organisé par la galerie Perrotin, en collaboration avec le Grand Palais, en 14 jours. Chris Dercon, président de la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais, explique que « ces expérimentations font partie de l’histoire de l’art d’avant-garde, amenant certains artistes à aller jusqu’à cacher voire faire disparaître les œuvres. WANTED!, en coopération avec la galerie Perrotin, s’inscrit dans cette continuité, mais en pimentant un peu les choses… », justifiant sa coopération avec un acteur commercial privé. 

La galerie Perrotin, quant à elle, « ne déteste pas la publicité »[1], tandis qu’elle multiplie ces dernières années ce type d’opération. On se souvient en effet de son intervention au musée du Louvre où, en 2016, le photographe-plasticien phare de l’écurie Perrotin JR avait recouvert la pyramide pour la faire disparaitre, opération renouvelée en 2019. Ou encore au Tripostal à Lille qui a consacré une exposition Emmanuel Perrotin lui-même et à ses artistes à l’occasion de ses 25 ans. A chaque fois, la méga-galerie semble, de façon plus ou moins explicite, prendre en charge l’opération. En tout cas, elle met le paquet sur les actions de communication pour transformer ces événements en véritable coup de buzz. WANTED! bénéficiait d’un compte Instagram qui couvrait en temps réel l’événement, à coup de stories et de publications, pour ses 2 000 et quelques abonnés.

Vue de la Pyramide du Louvre, « cachée » par JR, 2016
Courtesy de l’artiste

Les musées deviennent alors les terrains de jeux pour la galerie, qui peut présenter des événements à forte visibilité au sein de prestigieuses institutions pour ainsi imposer les artistes qu’elle représente… et faire monter leur cote sur le marché de l’art.

Si l’association galerie-musée peut paraître surprenante au premier regard, des événements de ce type ne cessent de se multiplier en France, révélant progressivement les liens sous-jacents entre sphère publique et sphère privée de l’art.

Dès 1982, Howard Becker développe le concept de « mondes de l’art » [2] qui, au pluriel, permet de souligner la coexistence d’univers d’artistes, des circuits de galeries, des réseaux de musées, tous reliés par des modes de financement et des publics spécifiques. Aujourd’hui plus que jamais, ce concept correspond à la réalité du secteur culturel. Avec l’accroissement des nouvelles technologies et les effets de la mondialisation, les échanges entre les mondes de l’art n’ont cessé de s’accélérer, de se diversifier et de se complexifier. 

Les relations sont d’autant plus ambiguës que musée public et marché sont deux entités qui peuvent paraître antinomiques. Pourtant, comme l’affirme François Mairesse dans Le musée hybride, « les musées n’ont jamais connu de séparation absolue avec le marché » [3], et encore moins avec le marché de l’art, qui partage avec les institutions muséales les mêmes sujets artistiques. Si bien que face aux transformations de la société de ces dernières années, la dichotomie souvent opérée entre musée et marché de l’art s’est atténuée ; on remarque par exemple le rapprochement entre grandes maisons de vente et musées pour des ventes et des acquisitions, pour l’organisation d’événements ou encore pour échanger leurs services. Cette réconciliation se produit notamment dans les pays anglo-saxons, où les relations qui lient musées et marché de l’art sont beaucoup plus décomplexées qu’en France. Les collections nationales françaises sont inaliénables et donc interdites à la vente sur le marché de l’art [4]. Toutefois, le marché de l’art gagne du terrain sur le domaine des musées français, par toutes sortes de collaborations diverses et variées. 

Les galeries sont des acteurs du marché de l’art qui, tout comme les maisons de vente, souhaitent redéfinir les liens avec les musées, en écho aux nouvelles pratiques qui s’y déroulent. Une vision réductrice, qui subsiste encore aujourd’hui est que la galerie commerciale, issue du monde marchand, et musée, ancré dans le secteur public, n’ont pas à interagir ; l’un a pour but de vendre l’art à un cercle restreint de collectionneurs, l’autre a pour mission de conserver et diffuser la culture au plus grand nombre. Une étude de 2017 sur les interactions entre les musées européens et américains avec le secteur privé de l’art [4] montre que 73% des musées préfèrent travailler directement avec artistes pour organiser une exposition, évitant ainsi toute interaction avec les galeries. La méfiance de l’un envers l’autre est alors encore d’actualité.

Qui n’est pas alors surpris de voir sur les murs du prestigieux musée d’Orsay, le nom de la célèbre galerie Thaddeus Ropac dans le cadre de l’exposition de l’artiste chinois contemporain « Yan Pei-Ming, Un enterrement à Shanghai » (du 1er octobre 2019 au 12 janvier 2020) ? Rien d’autre n’est précisé : s’agit-il d’un prêt d’oeuvre ? d’un mécénat ? d’une coproduction ? Les relations galerie-musée, bien que non dénoncées dans la presse contrairement aux multiples scandales musée-entreprise ou musée-marque (un exemple récent peut être celui du Louvre AirBnb), sont belles et bien présentes, mais elles demeurent floues et inexplorées. Derrière beaucoup d’opérations liées à de l’art contemporain dans une institution culturelle, un partenariat galerie-musée s’est subtilement tissé.

Vue de l’exposition « Yan Pei-Ming. Un enterrement à Shanghai » au Musée d’Orsay
Courtesy de l’artiste

Le musée est historiquement de l’apanage des pouvoirs publics en France. La définition actuelle du Conseil International des Musées (ICOM) souligne dès ses premiers termes les valeurs de service public fortement attachées au musée : « Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »

La galerie d’art commerciale, elle, a pour but de « de concilier le caractère non commercial de l’œuvre –  fruit du travail d’un artiste libre  – et les réalités marchandes ». Alors que la part de galeries d’art ancien primait jusque dans les années 2000, elles sont 90% à vendre de l’art contemporain en 2016. Cette restructuration du monde des galeries amène de nouvelles dynamiques et des changements complexes au sein de l’écosystème culturel. Le musée n’est pas moins atteint de ce boom de l’art contemporain.

Les formes que peuvent prendre ces relations sont alors multiples ; mécénat et soutien financier, enrichissement des collections, co-organisation d’exposition, événementiel… Une diversité dans la nature des liens peut être observée. Le musée Guimet, lui, se concentre exclusivement sur l’organisation d’expositions intitulées « Cartes Blanches » et tisse des liens avec les galeries dans cette situation. Collaborant notamment avec des grandes galeries comme Perrotin (2019, 2020) ou Maria Lund (2019), le musée d’arts asiatiques s’appuie sur les galeries d’art contemporain pour mettre en place ces cartes blanches dédiées aux artistes vivants, se distinguant du reste de sa programmation basée sur des arts plus traditionnels. C’est une façon de dynamiser ses collections parfois perçues comme anciennes et de rappeler que le musée a la particularité de couvrir une vaste partie de l’art asiatique, aussi bien géographiquement que chronologiquement. Récemment, c’est l’artiste à la mode Daniel Arsham qui a investit l’espace du musée Guimet, en proposant un jardin zen et une nouvelle série de sculpture. Derrière cette exposition « Moonracker », inaugurée le 21 octobre 2020 et coupée court par le reconfinement, toujours et encore la galerie Perrotin.

En collaborant avec les galeries, les musées peuvent donc instaurer un dialogue entre art actuel et art contemporain. Le musée Guimet qui souhaite renouer avec l’art contemporain pour bénéficier d’un nouveau positionnement et d’une image dynamique. La mise en place de tels partenariats émane parfois des services de direction des musées et résulte parfois des affinités entre différents acteurs du monde de l’art. Toutes les parties y trouvent leur compte ; pour la galerie, il s’agit de légitimer ses artistes et ses activités. Cette consécration permet de faire monter la cote de l’artiste représenté sur le marché de l’art grâce au prestige associé à un musée. Le musée y gagne également sur le plan du financement ; la galerie peut accepter de financer l’exposition, les coûts de productions, les coûts annexes, la communication… Dans un contexte financier difficile marqué par la baisse des subventions de l’Etat, une nouvelle compétitivité se met en place et la nécessité de multiplier les actions de mécénat et les partenariats s’accroît. 

De l’autre côté, les galeries sont désormais capables de produire des expositions dignes d’être muséales, impliquant non seulement l’artiste et sa galerie mais également des mécènes, des agences de conseils, des sociétés de production et des institutions. Le positionnement de la galerie quant à ces expositions n’est pas anodin : elle souhaite en tout point se rapprocher d’une exposition que l’on pourrait trouver dans un musée. Elle déploie donc un dispositif scénographique, met en place des documents de communication, entreprend des recherches poussées pour bien documenter leurs sujets, propose des catalogues d’exposition, se munit de conservateurs reconnus, et reprend des codes propres aux expositions d’une institution culturelle classique. Tout cela est gratuit pour le visiteur (contrairement à la plupart des expositions de musées). La galerie offre une « exposition désintéressée »[6], montrant leur désir d’élargir leurs publics.

Ainsi, la galerie et le musée s’influencent mutuellement au niveau de leurs expositions, leurs dispositifs, leurs pratiques, pour aboutir à un rapprochement de leurs spécificités. D’un côté, les musées sont en effet en demande de l’art le plus récent, le plus expérimental possible, pour offrir des nouvelles expériences culturelles à ses publics et pour enrichir les collections publiques. De l’autre, les galeries sont désormais en mesure de fournir des expositions de qualité muséale, mais leur dimension commerciale appelle à ce qu’elles soient toujours cautionnées par des instances de légitimation comme les musées.

Il est donc indéniable que les galeries agissent avec les institutions muséales dans des relations complexes. Les réseaux s’interpénètrent fortement, si bien que l’institution muséale finit par adopter certains aspects des galeries, comme l’application de stratégies marketing similaires, la découverte de nouvelles formes artistiques, un travail sur l’image, le développement de l’événementiel et de la starification. Il en vient même une sorte d’inversement des rôles. Les musées deviennent des machines industrielles, prêtant plus attention à l’optimisation de leurs recettes, faisant de plus en plus appel aux techniques du privé et à leurs services, augmentant la circulation de leurs oeuvres. Les galeries ressemblent de plus en plus à des musées : création de collection permanente, d’expositions temporaires, d’éditions de catalogue, de conférences… Elles parviennent aussi occasionnellement à obtenir des prêts de grands musées. Aujourd’hui, certaines galeries empruntent des oeuvres aux plus grandes collections publiques. Une enquête du Quotidien de l’Art avait montré que la galerie Malingue a emprunté des toiles de Roberto Matta au Centre Pompidou et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. La galerie Gagosian s’est vu livrer des toiles de Francis Bacon du Centre Pompidou pour réaliser une exposition temporaire autour de l’artiste à New York. Si cette pratique n’est pas encore généralisée, notamment parce qu’elle repose sur un flou juridique du Code du Patrimoine, elle est défendue par le galeriste Georges-Philippe Vallois, qui pointe du doigt « l’inflation généralisée de prêts aux musées » de la part des galeries : 

« Cela fait partie de notre mission de rendre visibles ces œuvres au public. Mais la réciprocité est essentielle, musées et galeries sont complémentaires. Il faut évidemment que les expositions en galerie soient historiquement importantes, et comprennent notamment un catalogue. Ouvertes à tous, elles peuvent aussi permettre une revalorisation artistique d’un créateur cantonné aux réserves. » [7]

Ses collaborations s’inscrivent-elles dans une démarche de démocratisation de l’art et de la culture ? C’est du moins ce qu’affirme Emmanuel Perrotin : “Les œuvres d’art sont plus que jamais précieuses, c’est pourquoi il est important de les offrir au plus grand nombre”, à propos de l’événement WANTED!, gratuit et ouvert à tous. On peut penser que ce genre d’événement permet d’attirer le public d’une galerie, plus jeune et plus branché, dans les lieux du musée. Le musée peut même espérer construire des expositions qui se rapprochent des expositions “blockbusters” ou monter des événements qui vont attirer un nouveau public le temps de quelques jours. 

Inversement, on peut aussi s’imaginer que les visiteurs d’un musée comme le musée Guimet ou encore le Grand Palais, qui propose des expositions “blockbusters” destinées au grand public, peut découvrir le monde caché des galeries. Déconstruire l’image mythique et inaccessible de la galerie, c’est un des buts lorsque celle-ci investit l’espace muséal.

Démocratisation ou dérives commerciales dont fait l’objet le musée ces dernières années ? On a largement critiqué les partenariats tissés entre les musées et les marques commerciales. Et la galerie demeure une entreprise à but lucrative. Utiliser, voire louer l’espace muséale pour organiser une exposition à l’honneur d’un de ses artistes et faire monter sa cote ou pour monter un événement attirant toujours plus de visiteurs et polir son image de galerie est une pratique qui peut être questionnée, tant du côté des musées que du côté de la galerie.

Quoi qu’il en soit aux conséquences du Covid-19, la nécessité de coopération est plus que jamais soulignée par les acteurs du monde de la culture. Dans une société fragilisée par la crise sanitaire, le secteur culturel est en première ligne pour subir les conséquences économiques et sociales. Les galeristes doivent se réinventer et un des moyens à cela semble être la collaboration : « Les galeries sont beaucoup plus disponibles à collaborer » affirme un galeriste, tandis qu’une autre explique que « ce sont des périodes où il faut essayer de partager au mieux et d’inventer de nouvelles formes de communication ». 

Bousculant la hiérarchie du monde de l’art et modifiant progressivement les offres culturelles, les partenariats galerie-musée poussent à repenser les rapports entre le privé et le public du secteur culturel.

CAMILLE CHU

Daniel Arsham : L’exposition du futur

Tout juste arrivés en 2020, Daniel Arsham nous transporte mille ans dans le futur à la Galerie Perrotin de Paris. Bienvenue au 31ème siècle. 

Inaugurée le 11 janvier 2020, l’exposition Paris, 3020 de l’artiste américain Daniel Arsham présente un travail inédit que l’on ne saurait dater. On y retrouve en effet des bustes, des frises et des sculptures emblématiques de l’Antiquité gréco-romaine, comme la Vénus de Milo ou la Dame d’Auxerre. Les oeuvres immaculées contrastent avec les vêtements colorés des visiteurs cools et branchés venus admirer le travail d’un artiste à la mode. Une côte d’autant plus renforcée et légitimée par une collaboration audacieuse entre Perrotin et l’atelier de moulage de la RMN. Visionnaire sur tous les points, cette exposition cristallise les ambitions du marché de l’art de notre ère et celles du futur. 

UNE PROCESSION DANS L’ESPACE ET LE TEMPS

En entrant dans cette exposition, l’impression de voyager dans le temps se fait ressentir. Une question subsiste : sommes-nous dans le passé comme les statues antiques le suggèrent ? Ou avons-nous atterri dans un futur où la présentation des objets d’art se fait dans un whitecube, aux néons blancs au plafond et aux socles sinueux au sol ? Une chose est sûre, nous avons bel et bien quitté le Marais pour rejoindre une espace d’exposition hors du commun aux allures anachroniques. 

La première salle donne le ton : la Vénus d’Arles d’après Praxitèle, subtilement remaniée par l’artiste mais toujours sa pomme à la main, nous accueille au sein du temple Perrotin. L’aura sacré de la sculpture divine est accentué par un piédestal qui dégage un éclairage blanc, conférant à l’espace une dimension religieuse incontestable. Cependant, ce n’est pas les figures mythologiques que l’on idolâtre, mais bien l’artiste ayant façonné ces dieux. En ce samedi, l’artiste est présent à la galerie pour un talk et est entouré par ses fidèles visiteurs, tous plus stylés les uns que les autres et qui le vénèrent à coup de selfies.

Vue de l’exposition. Quartz Eroded Venus of Arles, 2019.

Et il y a de quoi. Dans la plus grande salle de l’exposition, Arsham poursuit sa procession avec une copie de l’imposant Moïse Assis de Michel-Ange trônant au fond de la salle. Lui faisant face, la Vénus de Milo. Les deux oeuvres mythiques sont flanquées d’une série de bustes et sculptures grandeur nature, incluant l’Athéna Casqué et le buste de Caracalla en cuirasse. Une bénédiction que de se retrouver au centre de tous ces chefs-d’œuvre. Ne l’oublions pas, ce ne sont pas les « vrais ». Et pourtant, un fort sentiment de familiarité, voire d’authenticité plane dans l’espace.

Vue de l’exposition. Blue Calcite Eroded Moses, 2019, calcite bleu, sélénite, hydrostone & Rose Quartz Eroded Venus of Milo, 2019, sélénite rose, quartz, hydrostone.

Le rituel artistique se termine dans les deux dernières salles, qui présentent des frises et des têtes mais aussi une korè bien connue : la Dame d’Auxerre. Les oeuvres mystiques s’enchaînent dans l’espace lumineux et blanc, si bien que l’on croirait visiter un Louvre du futur.

Une série de dessins vient compléter l’exposition en illustrant le processus de travail de l’artiste. On y voit des têtes divines finement dessinées au graphite, accompagnées d’informations et de réflexions sur les oeuvres étudiées. En parlant du Tombeau des Néréides, Daniel Arsham écrit : « From the collection of the Louvre Museum Paris, 2nd century AD. Lost 22nd century. Discovered on accident 3019 in Tokyo. Blue calcite crystal formations replacing the original marble ». [De la collection du musée du Louvre à Paris, 2ème siècle après J.-C. Perdu au 22ème siècle. Redécouvert par accident en 3019 à Tokyo. Des formations de cristaux de calcite ont remplacés le marbre original]. Étape primordiale dans l’élaboration de chacune des oeuvres, ces dessins apparaissent comme des souvenirs de fouilles archéologiques qui auraient eu lieu dans un futur plus ou moins lointain, dans des contrées plus ou moins éloignées. Arsham imagine un futur où les oeuvres du Louvre auraient été perdues pour être redécouvertes à l’autre bout du monde, apparaissant ainsi comme des symboles des dérives de la mondialisation.

Détail de Rose Quartz Sarcophagus with Nereids, 2019, sélénite rose, quartz, hydrostone.

DANIEL ARSHAM, ARCHEOLOGUE DU FUTUR

Daniel Arsham a l’habitude d’intervenir sur la temporalité des objets. Connu pour ses travaux autour d’objets du quotidien qu’il transforme en artefacts donnant l’impression de s’éroder, l’artiste américain réinvente l’archéologie en lui conférant une dimension artistique et esthétique. Des objets technologiques iconiques (un téléphone fixe vintage, des appareils photo Leica, un ordinateur Apple Macintosh…), deviennent ainsi des objets de pierre érodés, reflétant ainsi l’obsolescence et la dématérialisation digitale qui transforment notre monde actuel. Rabaissés en objets du passé ou érigés en reliques du futur, Arsham crée et capture des situations d’entre-deux, défiant toute temporalité rationnelle.

Daniel Arsham, Glacial Rock Eroded Leica M3, 2015
© Daniel Arsham

Pour cette exposition, Arsham s’attaque à des oeuvres de l’Antiquité dont l’iconographie s’est construite il y a des années et qui s’érigent en emblèmes de l’Histoire de l’Art. L’artiste nous offre une nouvelle façon de voir des sculptures phares d’autant plus que notre oeil est rapidement titillé par les scintillements provoqués par les cristaux incrustés dans les oeuvres. C’est là que l’on reconnait la signature de l’artiste ; Daniel Arsham opère un procédé d’érosion et de cristallisation sur les objets sur lesquels il travaille. 

Pour Arsham, la démarche est quasi-scientifique. Après avoir moulé dans du ciment de gypse et obtenu une réplique à l’échelle de la sculpture originale, non sans rappeler le procédé du moulage à la cire perdue, l’artiste procède soigneusement à l’érosion de la surface de l’oeuvre, cette fois-ci pour faire écho aux techniques des sculpteurs de la Renaissance. De la cendre volcanique au bleu calcaire, en passant par la sélénite et le quartz, Arsham accomplit, jusque dans les pigments utilisés, un véritable hommage aux sculpteurs classiques. L’artiste ajoute toutefois sa touche personnelle ; il applique un procédé de cristallisation sur les sculptures, donnant l’impression que les minéraux de la Nature ont repris leur droit sur l’Art. Après tout, nous sommes en l’an 3020 et Daniel Arsham se met dans la peau d’un archéologue du futur ayant redécouvert des oeuvres perdues, qui pendant des années se sont laissés transformés par des cristaux bleus, gris, noirs… Une esthétique uchronique qui se construit autour du concept d’archéologie fictive. 

QUAND GALERIE & MUSÉE SE COPIENT

Pour créer ces statues, Daniel Arsham a collaboré avec l’atelier de moulage de la Réunion des Musées Nationaux — Grand Palais (RMN), un atelier historique en fonction depuis le XIXème siècle qui reproduit les chefs-d’oeuvre des plus grands musées d’Europe. L’artiste a ainsi pu accéder aux moulages de sculptures symboliques faisant la réputation de prestigieux musées : le musée du Louvre à Paris, le musée de l’Acropole à Athènes ou encore le Kunsthistorisches Museum à Vienne. La dimension symbolique des oeuvres choisies par Arsham est déterminante ; l’exposition présente non pas des objets d’art mais des chefs-d’oeuvres vus et revus, moulés et re-moulés, travaillé et re-travaillés à travers l’Histoire de l’art. 

On pense alors aux copies que les sculpteurs romains faisaient déjà des modèles grecs. Polyclète, Praxitèle, Phidias sont tant d’artistes grecs qui acquièrent leur notoriété à l’époque romaine. Les maîtres italiens de la Renaissance eux-aussi copient et intègrent ainsi ces oeuvres dans l’Histoire de l’art. Lorsqu’on redécouvre les sculpteurs grecs aux XVIIIème, à Herculanum et Pompei, Winckelmann constitue une Histoire de l’art grecque. En s’appropriant des oeuvres maintes fois reprises, redécouvertes et regardées à travers les époques, Arsham participe ainsi à la perpétuation et à l’ancrage de ces symboles dans la mémoire collective et l’identité universelle. 

C’est également dans les musées, notamment nationaux, que s’est construit la réputation des sculptures gréco-romaines. Le département des Antiques est le premier à voir le jour au musée du Louvre, en 1793. En 1800, on inaugure un musée des antiques au sein duquel les oeuvres comme le Laocoon ou l’Apollon du Belvédère, butins des saisies révolutionnaires en Italie par Napoléon-Bonaparte, ont une place d’honneur. En reprenant ces mêmes oeuvres, jadis symboles de pouvoir et en les replaçant dans un nouveau contexte ultra-futuriste, Arsham renouvelle le discours muséal. 

La référence au monde muséal ne s’arrête pas là ; l’exposition emprunte certaines stratégies scénographiques de nos institutions culturelles traditionnelles, comme les socles et les piédestaux. Toutefois, Arsham souhaite questionner ces codes en les remaniant et surtout en les sortant de leur contexte classique pour les utiliser au sein d’une galerie d’art contemporain. Loin des murs de pierre et de marbre du Louvre, l’ambiance whitecube du 76 rue de Turenne défie toute scénographie muséale. Par ce biais, il remet en cause la typologie de l’Histoire de l’art et le musée en tant que vecteur de la valorisation des objets d’art est ainsi questionné. L’artiste crée un espace d’entre-deux, entre galerie et musée, et une temporalité ambigüe, entre passé et futur.

Exposition Paris, 3020, à la Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne 75003, Paris, du 11 janvier au 21 mars 2020.

Pour découvrir l’étendu du travail de Daniel Arsham, rendez-vous sur son site Internet (à consulter absolument pour son originalité !) : https://www.danielarsham.com/collection#directory

CAMILLE CHU


[Regards rétrospectifs] Liu bolin, l’Homme pas si invisible de l’art contemporain chinois

[Ecrit il y a trois ans pour L’Aparté, découvrez l’article qui parle de l’œuvre de Liu Bolin et des rouages de l’art contemporain chinois, sous le prisme de la critique de l’exposition « Liu Bolin – Ghost Stories » à la Maison Européenne de la Photographie en 2017.]

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«Il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait. » – Marcel Duchamp, Ingénieur du temps perdu

On se rappelle de la fameuse exposition « Bentu » à la Fondation Louis Vuitton qui rassemblait, au sein du vaisseau lumineux encore recouvert des couleurs de Buren, un large panorama d’œuvres d’artistes chinois contemporains. Ou encore d’artistes contemporains chinois.

Quel ordre des mots choisir pour qualifier les productions (dont la plupart s’oriente vers le message politique) des artistes de Chine aujourd’hui ? Entre les expressions d’ « art chinois contemporain » et d’ « art contemporain chinois », un écart se creuse, écart que l’on peut voir à l’œil nu aujourd’hui.

En revanche, celui qui ne désire pas être vu, du moins plastiquement, c’est Liu Bolin. La Maison Européenne de la Photographie expose depuis le début du mois de septembre, et jusqu’à la fin du mois d’octobre, les clichés de l’artiste chinois connu pour se fondre dans des paysages divers. Au premier coup d’œil, on n’y voit rien, comme dirait Daniel Arasse. Mais si l’on persiste à regarder (et réellement regarder, pas seulement se contenter de la moyenne de 4 secondes passées devant un tableau par un visiteur de musée), notre œil s’accroche et se focalise sur un élément perturbateur : l’artiste lui-même. Liu Bolin est bien là, debout, dans un lieu avec lequel il ne fait qu’un. Réalisé sans trucage, l’effet d’intégration de sa personne dans la nature se fait grâce à un travail de peinture sur son visage et son corps, restant immobile pendant parfois plus de 10 heures.

Vus de l’exposition Liu Bolin – Ghost Stories à la MEP.

LA RÉVOLUTION SILENCIEUSE DE LIU BOLIN

À l’origine, c’est la protestation contre la destruction des quartiers historiques de Beijing (les fameux hútong 胡同), où se trouvaient des ateliers d’artistes, qui l’animait. Son espace de création envolé, il proteste donc, mais silencieusement, pour faire attention à la censure de la République Populaire de Chine. La révolution passive commence. Il se montre (ou se cache) pour la première fois devant les tas de gravats et les murs effondrés de son atelier, symboliques de la production artistique et l’opinion politique, mise à néant par le gouvernement. Le résultat, Hiding in the City no. 02, Suojia Village (édité en 2005), est une photographie en effet silencieuse. Toute fois, quelque chose résonne en chacun de nous : une forme d’indignation notable.

Liu Bolin, Hiding in the City 02, Suojia Village, 2005, 120 x 150 cm 

Rapidement, Liu Bolin répète le processus artistique finalement né de la destruction. Il enfile une tenue militaire inspirée des années Mao et devant divers endroits, l’artiste révolté se fige, le temps d’une photographie, telle une statue de marbre. Des paysages urbains, comme l’autoroute ou les murs remplis de graffitis chinois, aux décors plus loufoques, tel que le mur de canettes de soda ou de téléphones portables, Liu Bolin inscrit sa silhouette sur ce qu’il souhaite dénoncer. En l’espace de 12 ans, l’artiste a élargi les thèmes qui font l’objet de son oeuvre : « Politique et censure », « Tradition et culture chinoise », « Société de consommation » et enfin, « Informations, médias et liberté de la presse ». Ce dernier thème lui est cher. En 2015, il réalise une photographie avec les auteurs de Charlie Hebdo, fondus dans une masse de couvertures du journal satirique. Pour signifie le manque de liberté d’expression en général, il va jusqu’à poser devant La Liberté Guidant le Peuple, photographie que l’on peut apercevoir dès le rez-de-chaussée de la MEP comme pour nous introduire à la voix protestataire de l’artiste. S’affirmant comme un homme silencieux devant un tableau sonore, opposant processus contemporain et art du passé, Liu Bolin joue avec les contraires et reste le maitre des dualités.

On peut lire de l’ambiguïté dans ses photographies ; ses œuvres, certes protestataires, empruntent aux thèmes traditionnels chinois. Sarcasme ou réel désir de ne pas effacer ses origines ? On y verrait presque un artiste qui s’enferme dans des clichés (dans les deux sens). Ce double-tranchant est démontré à travers certaines oeuvres, comme celui de sa Dragon Series, 2010.

Liu Bolin, Dragon Series, 2010, Panel 3 sur 9, 118 x 150 cm.

On y retrouve l’interprétation du dissimulé – découvert, masqué – dévoilé, défendu – public, tant de notions dichotomiques. L’homme se cache, il se dissimule pour mieux être dévoilé. Finalement, ses yeux systématiquement fermés et sa bouche close montrent-ils la puissance du silence ? Car, au-delà du message politique, Liu Bolin se fera largement entendre ; il deviendra dès ses premières séries de photographies une star de l’art contemporain chinois.

LA VOIX DES ARTISTES CONTEMPORAINS CHINOIS

Selon Qiu Zhijie, artiste contemporain né dans la province du Fujian, parler d’ « art chinois contemporain » plutôt que d’ « art contemporain chinois » (dit zhongguo dangdai yishu, 中國當代藝 術) serait mettre l’accent sur l’aspect proprement chinois, plutôt que sur l’appartenance à une culture mondialisée contemporaine.

Cependant, aujourd’hui, l’art contemporain chinois ne serait-il pas exclusivement mondialisé ? Non pas que les artistes abandonnent leurs racines chinoises, loin de là, mais la censure du gouvernement chinois touche automatiquement les artistes dissidents en Chine, qui paradoxalement deviennent les plus connus sur le marché de l’art international. En effet, les artistes chinois s’attardent pour la plupart sur les mêmes thèmes que Liu Bolin (« Politique et censure », « Tradition et culture chinoise », « Société de consommation » et « Informations, médias et liberté de la presse »). Ces quatre points cardinaux sont des sujets traités très fréquemment, voire systématiquement, dans l’art contemporain chinois. Ces mêmes sujets sont filtrés et soumis à la censure, mais les artistes chinois y voient là un moyen pour s’échapper du système politique de la Chine et entrer en fracas dans le monde international de l’art. Ainsi, ce que le gouvernement chinois ne laisse pas les habitants de Chine voir, il le montre à nous, public international, en conséquence.

Ai Wei Wei (艾未未) est un exemple frappant de ce jeu de cache-cache qui s’est installé, permettant aux artistes chinois de mieux se révéler sur la scène internationale. Acteur ma jeur de la scène artistique indépendante chinoise, il a été arrêté par la police en 2011 (officiellement pour évasion fiscale) puis libéré après 81 jours d’enfermement. Cet épisode a causé une vague d’indignation à travers le monde. L’artiste aujourd’hui s’exile et continue à se faire connaitre en tant que sculpteur, performer, photographe, blogueur…

Ai Wei Wei, Dropping a Hand-Dynasty Urn, 1995, triptyque, C-prints, 150 x 166 cm.

La politique et l’art d’aujourd’hui en Chine sont donc étroitement liés, si ce n’est indissociables, et ce depuis longtemps. L’art contemporain chinois se met en place dans les années 1979 – 1984, à la suite logique d’un art marqué par la propagande au service du parti communiste chinois. Avec l’ouverture économique du pays de Deng Xiaoping, l’art chinois s’ouvre de même ; on assiste à des mouvements d’une grande force créatrice et novatrice. Le Xiamen Dada, mis en place par Huang Yong Ping (黄永), submerge la logique de la modernisation. Le Political Pop Art, lui, est un subtil mélange entre le style du Réalisme Social et les icônes publicitaires pour rejeter à la fois le communisme et la société de consommation. Des liens entre Occident et Chine se tissent alors. Le Stars Art Group ou Xing xing Art Studio (星星画会), dont Ai Wei Wei faisait partie, met en avant l’individualisme et la liberté d’expression. De nombreuses expositions sont sources de controverses, surtout dans les années 1990, et la police s’empresse de les fermer et de faire taire les artistes. Mais leurs voix retentissent d’autant plus, et ailleurs.

Exilés, surtout après le printemps de Pékin en 1978 et 1979, les artistes contemporains de Chine profitent du fait d’être à l’étranger pour diffuser et faire évoluer l’art chinois. Certains artistes ont alors la volonté de créer un art véritablement « planétaire ». C’est le cas de Cai Guo-Qiang (蔡国强) né en 1959, qui travaille sur la question du métissage (on le voit par exemple dans son oeuvre Head on, où il se réfère au mur de Berlin). Il s’agit de se confronter à plusieurs cultures ; Huang Yong Ping l’a aussi fait en 2016, lors de la 7ème édition de Monumenta au Grand Palais. Au milieu du long squelette de dragon qui serpentait l’immense espace rempli de conteneurs, les spectateurs pouvaient voir un gigantesque bicorne. Les artistes contemporains chinois regardent alors le monde à travers une vision et un esprit imprégnés d’une longue histoire culturelle. Mais ces mêmes artistes s’ancrent également dans un monde de l’art où l’argent et la spéculation sont les maitres-mots.

COUP D’OEIL SUR L’ÉCONOMIE DE L’ART CHINOIS

En 2013, la Galerie Paris-Beijing, représentant Liu Bolin, précisait : « les prix [des oeuvres de Liu Bolin] varient de 7 000 à 15 000 euros et le nombre de collectionneurs internationaux sur liste d’attente s’allonge de plus en plus ». Depuis, la cote de l’artiste a monté et les prix de ses oeuvres avec. L’art chinois, qu’il soit antique ou contemporain, est en pleine expansion.

Dans le monde des enchères, de plus en plus de collectionneurs (ou d’investisseurs) s’intéressent à l’art chinois contemporain. En 2007, Zhang Xiaogang, peintre connu pour ses portraits monochromes de personnes chinoises stylisés, atteint des records ; ses oeuvres se vendent en une enchère pour 56,9 millions de dollars (environ 48 millions d’euros). Les acheteurs sont avant tout chinois ; ils souhaitent soit compléter leur collection d’oeuvres comme on complète une collection de timbres, et ce à n’importe quel prix, soit, pour ce qui est de l’art antique, ramener dans le patrimoine chinois les objets sortis du pays au vingtième siècle, par le biais de marchands d’art comme C.T. Loo. Les acheteurs américains, suisses ou viennois, ne font pas le poids face à eux. Au mois de septembre dernier, une enchère a pulvérisé les records à Genève ; un vase chinois estimé entre 430 et 690 euros a été adjugé à 4,3 millions d’euros, soit 10 000 fois plus que l’estimation de base. De même, le 3 octobre 2017, un chinois a acquit par téléphone un bol rince-pinceau en porcelaine chinoise de la dynastie Song du Nord (960-1127), pour la modique somme de 32 millions d’euros… Un chiffre écrasant les records pour la céramique chinoise (détrônant notamment la fameuse Chicken cup, vendue en 2014 pour plus de 30 millions d’euros). Les chinois achètent, parfois même sans regarder.

Chicken Cup, Ming dynastie (1368–1644), Porcelaine. Photo : European Pressphoto Agency.

Ainsi, les musées de Chine se remplissent de plus en plus. Ils se gonflent de ces objets remportés dans des enchères fougueuses, mais aussi de visiteurs. Le public chinois n’y voyait rien jusqu’à présent ; pour causes, le rejet historique depuis l’année 1949 de la culture, la censure portée à son paroxysme dans les années 1990 mais aussi le manque d’intérêt ou d’informations sur l’art chinois, du moins l’art contemporain chinois. Aujourd’hui, la censure est moins forte, bien que des controverses subsistent, comme l’ignorance des médias chinois vis-à-vis de certains artistes (étrangement, les moins cotés), ou la fermeture de certaines expositions. Le public chinois qui désire mieux regarder commence à y voir plus clair ; des musées d’art contemporains sont construits, surtout dans les grandes villes. A Shanghai, on trouve le Power Station of Art, premier musée d’art contemporain géré par l’Etat, ou encore le Long Museum, construit par l’ancien taxi man devenu milliardaire Liu Yiqian. Ce dernier avait abrité en 2015 une exposition de l’artiste protestataire Xu Chen, également star de l’art contemporain et dont les prix de ses oeuvres flambent (on le retrouve littéralement dans toutes les foires : FIAC, Asia Now…). Véritable volonté de montrer aux chinois l’art contemporain ou simple résultat logique de l’économie ? Toutefois, selon le Journal des Arts, le chiffre de fréquentation de ces musées nouveaux est moindre par rapport aux attentes, d’autant plus que les visiteurs sont bien souvent des expatriés ou des touristes étrangers.

A l’image des artistes contemporains chinois, si Liu Bolin se cache dans les recoins de ses oeuvres, il s’affirme très clairement sur le marché de l’art contemporain, que ce soit dans les musées ou les galeries, en Chine ou ailleurs.

Exposition « Liu Bolin – Ghost Stories » à la Maison Européenne de la Photographie, du 13 septembre au 29 octobre 2017.

CAMILLE CHU