« L’Amazone Érogène » Prune Nourry s’expose au Bon Marché Rive Gauche

«Être une artiste signifie guérir continuellement ses propres blessures, et en même temps les exposer sans cesse» déclarait Annette Messager. Cette citation prend tout son sens face à l’œuvre de Prune Nourry.

Pour célébrer le Mois du Blanc, Le Bon Marché Rive Gauche a donné carte blanche à l’artiste pour investir la verrière centrale du grand magasin, ainsi que les vitrines de la rue de Sèvres.

Au centre de l’atrium, deux cibles géantes en forme de sein sont dressées de part et d’autre de l’escalator. L’une est assaillie par une nuée de flèches, la seconde est pointée par un arc immense dont la flèche est prête à s’élancer.

L’Amazone Érogène, projet pour les verrières centrales, 2020. © L. Léonard, G. Drossart, Prune Nourry Studio

Inspirée par la légende des archères qui se tranchaient le sein droit pour tirer plus aisément, Prune Nourry nous livre « L’Amazone Érogène », une œuvre qui dépasse la catharsis personnelle pour toucher chacun de nous. En effet, au-delà de l’évocation du cancer du sein qui a frappé l’artiste, cette œuvre aux significations multiples provoque des compréhensions infinies.

L’Amazone Érogène, 2020. © Grégoire Machavoine

L’exposition devait se tenir jusqu’au 21 février 2021, mais le grand magasin a fermé ses portes suite aux restrictions liées à l’épidémie, et ce jusqu’à nouvel ordre. Après avoir contemplé l’œuvre de Prune Nourry, nous avons échangé avec Eléna Fertil, responsable des Projets Culturels du Bon Marché, au sujet de la carte blanche.

Lorsque nous découvrons le projet in situ, le choix de l’artiste nous paraît bien sûr évident. Mais il doit en être autrement pour vous à la conception des projets. Quel est le premier aspect qui a retenu votre attention dans la pratique de Prune Nourry et qui vous a amené à la contacter ?

L’œuvre de Prune Nourry est très riche de sens et de références scientifiques, sociologiques, artistiques. Avant tout je crois que c’est sa détermination qui nous a séduits. Dans son documentaire « Serendipity » sorti en 2019 on la voit faire face à l’épreuve du cancer du sein avec obstination et sensibilité, cherchant du sens dans cette épreuve. Etrangement les questionnements interrogés dans ses œuvres passées rencontrent un certain écho dans cet évènement personnel, c’est troublant et touchant.  

C’est à la suite d’une avant-première de ce film que Frédéric Bodenes, Directeur artistique et image du Groupe Bon Marché a rencontré Prune Nourry.

Prune Nourry, 2020. © Le Bon Marché Rive Gauche

Prune Nourry propose pour le Bon Marché une œuvre très personnelle, empreinte de son expérience face à la maladie, en l’occurrence un cancer du sein. Mais par cette installation, il y a également une prise de parole du grand-magasin, par laquelle chacun est interpellé et concerné. Comment s’est façonné le propos de l’exposition ?

« L’Amazone Erogène » met en lumière le combat de (trop) nombreuses femmes contre la maladie. La maladie affecte aussi les amis, les proches, l’entourage et la société dans son ensemble. Prune Nourry transfigure les malades en héroïnes de leur propre combat faisant le parallèle avec la figure antique de l’amazone guerrière. Cette installation invite aussi à une réflexion universelle sur la valeur de la vie, via la guérison, la vie qui se poursuit et la procréation. Prune Nourry assimile ainsi les flèches à une nuées de spermatozoïdes allant féconder un ovule. C’est toute la puissance de la vie qu’elle exprime, dans une optique combative et, on l’espère, victorieuse.

Comment se déroule concrètement la réalisation d’un projet artistique comme celui-ci ? C’est une carte blanche donnée à l’artiste, mais est-ce que vous l’accompagnez tout au long de la production ? Est-ce qu’il vous arrive d’intervenir ?

L’artiste est invité à imaginer une œuvre pour les espaces du Bon Marché Rive Gauche. Ceux-ci sont particuliers dans la mesure où les œuvres sont suspendues à une verrière ou exposées en vitrines, ce contexte modèle et influence déjà la réflexion de l’artiste. Nous collaborons ensuite avec l’artiste à toutes les étapes du projet avec une équipe interne dédiée. Nous l’aidons à faire advenir son projet et à le transmettre aux visiteurs en éditant un catalogue d’exposition, en proposant des temps de rencontre avec l’artiste…

Nous partageons également avec chaque artiste un épisode marquant de l’histoire du Bon Marché Rive Gauche : c’est Aristide Boucicaut, le fondateur du magasin, qui inventa le Mois du Blanc en 1873. Nous leur demandons donc, en clin d’œil à notre histoire, d’intégrer la couleur blanche dans leur création, chaque artiste s’approprie ce patrimoine différemment. 

Prune Nourry à l’atelier, 2020. © Le Bon Marché Rive Gauche

Le projet artistique ne se limite pas à l’installation, puisque nous avons pu découvrir une chanson écrite par Daniel Pennac et Prune Nourry, composée et interprétée par -M- et Ibeyi, dont le clip a été tourné autour de l’installation du magasin. Comment la rencontre de ces cinq artistes s’est-elle faite ?

Pour l’inauguration de cette exposition dans un contexte de crise sanitaire nous avons tout de suite pensé à un format digital. Prune Nourry a souhaité en faire une œuvre en soi, un film artistique, et réunir autour d’elle des amis talentueux pour écrire et créer ensemble autour de « L’Amazone Érogène ». Nous avons donc réalisé ce clip, tourné de nuit au Bon Marché Rive Gauche, l’exposition y prend une nouvelle forme.

Daniel Pennac a également écrit pour le catalogue de l’exposition une lettre savoureuse et touchante qu’il adresse à Prune et aux amazones.

Pour la première fois, les fragments de l’œuvre sont proposés à la vente, directement sur le site de l’artiste, dans le but de récolter des fonds permettant la distribution du livre à paraître « Aux Amazones » à des femmes atteintes du cancer. Que pourrons-nous retrouver dans ce livre et comment l’avez-vous pensé ?

Les 888 flèches qui composent l’installation visible sous les verrières centrales sont en vente via le site du studio de l’artiste dans un but non-lucratif. Prune Nourry souhaite ainsi pouvoir distribuer un certain nombre d’exemplaires de son prochain livre gratuitement, à des femmes atteintes du cancer. Elle l’a pensé comme un véritable outil, réalisé en collaboration avec de nombreux spécialistes et scientifiques pour proposer à ces femmes des idées pour être créatives et proactives face à la maladie.

L’Amazone Érogène, travail en cours, 2020. © Studio Prune Nourry

La carte blanche du Bon Marché devient maintenant un projet artistique installé dans le paysage culturel, que l’on attend en début janvier. Les projets nous ont plongés dans des univers différents, depuis les cerfs-volants d’Ai Weiwei jusqu’aux gouttes de pluie fleurissantes de Nendo. Quel est le plus beau souvenir que tu gardes de ces six projets ?  

J’en retiens deux : le jour où nous avons appris qu’Ai Weiwei avait récupéré son passeport et pourrait se déplacer à Paris pour l’installation et l’inauguration de son exposition « Er Xi » au Bon Marché. Il en avait été privé 4 ans auparavant par les autorités chinoises, c’était inespéré ! Et pour chaque projet l’excitation des montages d’exposition la nuit, magasin fermé, avec l’artiste et toute l’équipe d’installation, c’est la concrétisation d’un processus débuté un an auparavant. 

L’Amazone Erogène, dessin technique. © Prune Nourry Studio

Tu as travaillé dans des institutions culturelles par le passé et cela fait maintenant plusieurs années que tu es au Bon Marché responsable des projets culturels ; on peut ressentir que les projets entre le secteur du luxe et le milieu culturel s’intensifient, comment vois-tu cette évolution ? Quels types de projets souhaiterais-tu découvrir davantage ? 

Il y a toujours eu des liens étroits entre le milieu de la mode et le monde de l’art, entre les créateurs et les artistes. Raoul Dufy dessinait pour Paul Poiret, Sonia Delaunay a confectionné des casques auto dans les années 1920, Elsa Schiaparelli a côtoyé Dali, Cocteau… Aujourd’hui ces collaborations fleurissent dans tous les secteurs : le luxe mais aussi l’urbanisme, l’immobilier avec des projets comme 1 immeuble 1 œuvre… Sans nécessairement aller au musée ou en galerie chacun peut rencontrer une œuvre, vivre une expérience esthétique. Ce sont autant d’opportunités intéressantes pour les artistes tant que l’intégrité et la valeur de leur œuvre sont respectées. Les grandes expositions des musées et des centres d’art ainsi que la recherche sont évidemment nécessaires, on s’en nourrit, il est grand temps que le public puisse d’ailleurs y retourner. Mais on ne peut que se réjouir que le terrain de jeu des artistes s’élargisse et dépasse les murs des lieux qui leurs sont dédiés.

Prune Nourry, « L’Amazone Érogène », jusqu’au 21 février 2021 au Bon Marché Rive Gauche, Paris 7e. Et si le magasin ne réouvre pas d’ici là, nous vous invitons à découvrir l’installation à travers la vidéo ci-dessous. Merci beaucoup Eléna d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !  

CONSTANT DAURÉ

L’hiver de la culture

A défaut de pouvoir les visiter, Zao vous propose de retrouver en images les grands événements culturels et expositions avortés, raccourcis, reportés de fin 2020/début 2021.

Une façon de mettre en lumière ces projets, en espérant de les découvrir de nos propres yeux prochainement !

« Thierry Mugler : couturissme  » au @madparis

Alan Strutt, Yasmin Le Bon (Londres, 1997). Collection La Chimère, haute couture automne-hiver 1997-1998
© Alan Strutt

Sur les traces de la figure singulière qu’est le couturier Thierry Mugler, l’exposition retracera son oeuvre, ses créations, son imaginaire.

Initialement prévue en octobre 2020, reportée à une date ultérieure non communiquée.

« Matisse, comme un roman » au @centrepompidou

Henri Matisse, « La Blouse roumaine », 1940. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Don de l’artiste à l’État, 1953 © Succession H. Matisse Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / G. Meguerditchian / Dist. RMN-GP

Ouverte une poignée de jours avant le deuxième confinement,  le Centre Pompidou rend hommage à Matisse, retraçant les débuts du jeune artiste, tard venu à la peinture dans les années 1890, jusqu’à la libération complète de la ligne et de la couleur avec les gouaches découpées.

Inaugurée en octobre 2020, réouverture incertaine.

« Picasso – Rodin » au @museerodinparis et @museepicassoparis

Pablo Picasso, “Le Baiser”, Mougins, 26 octobre 1969, Huile sur toile, 97x130cm, Musée national Picasso-Paris (c) Succession Picasso / Auguste Rodin, « Le Baiser », vers 1885, plâtre patiné, 86 x 51,5 x 55,5 cm, Paris, Musée Rodin

Si les musées ne rouvrent pas en février (et nous n’y croyons malheureusement pas non plus), il faudra patienter quelques temps avant de contempler la confrontation du travail de Auguste Rodin (1840-1917) et Pablo Picasso (1881-1973). Déclinée simultanément au musée national Picasso-Paris et au musée Rodin, un format original que Zao salue, l’exposition permettra de découvrir un dialogue entre les deux monstres sacrés de l’art du XIXe.

Initialement prévue du 9 février au 18 juillet, maintien, annulation ou report de l’exposition non communiqués pour le moment.

« Le Corps et l’Âme. De Donatello à Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance » au @museelouvre.

Organisée avec le musée du Castello Sforzesco de Milan (@castellosforzescomilano), l’exposition présentait plus de 140 oeuvres de la moitié du Quattrocento jusqu’au 16ème siècle, l’apogée de la sculpture de la Renaissance. On pouvait y admirer notamment des chefs-d’oeuvre sculpturale des collections du musée comme l’Esclave mourant de Michel-Ange.

Initialement prévue du 22 octobre 2020 au 18 janvier 2021.

L’ouverture de la Bourse de Commerce (@boursedecommerce)

Bourse de Commerce-Pinault.
© Patrick Tourneboeuf – Courtesy Bourse de Commerce-Pinault Collection

La grande inauguration de la Bourse de Commerce, qui présentera la Collection Pinault au sein du monument classé parisien, a été reportée une nouvelle fois à l’aube du deuxième confinement, à cause de l’impossibilité des lieux culturels à rouvrir.

Le tout dernier temple de l’art contemporain devait ouvrir ses portes en juin 2020, puis au printemps 2021, pour enfin décaler son inauguration le 23 janvier 2020. Travaux terminés, le musée est prêt à accueillir les publics : « Waiting for the green light… » peut-on lire sur son compte Instagram.

FLASHBACK CULTUREL : CE QUE NOUS RETENONS DE 2020

2020… par où commencer? Nous n’avons pas besoin de rappeler en quoi cette année aura été si particulière pour tous, si difficile pour le monde de la culture. L’équipe de Zao Magazine revient tout de même sur les manifestations culturelles qui l’ont le plus marquée.

ARIANE DIB

The show must go on : Ondine à la Comédie Française, captée en 1974

Pendant le confinement du printemps dernier, la Comédie Française a maintenu sa programmation culturelle en s’adaptant aux contraintes : tous les soirs des pièces filmées issues de leurs archives étaient retransmises en live (via facebook et leur site internet). Parmi ce théâtre de fauteuil d’un nouveau genre, était diffusée Ondine de Jean Giraudoux, une pièce relatant le parcours d’une jeune “femme” capable de contrôler les éléments notamment liés à l’eau, abandonnant son lac pour suivre l’homme qu’elle aime à la cour, Hans, un jeune gentilhomme autrefois promis à une autre. Cette mise en scène conservait la beauté du texte et mêlait le regard et l’humour de Giraudoux et le romantisme bavarois dont est originaire le mythe d’Ondine. Le jeu des acteurs est incroyable, notamment le magnétisme d’Isabelle Adjani et Jean-Luc Boutté. Cette initiative pour rassembler le temps d’une pièce, même à distance, des spectateurs éparpillés et confinés, m’a parue extrêmement pertinente et réussie.

Ondine, Jean Giraudoux, mise en scène de Raymond Rouleau ; pièce en 3 actes de Jean Giraudoux ; spectacle de la Comédie-Française ; décors de Chloé Obolensky ; costumes de Chloé Obolensky, Rostislav Doboujinsky, retransmission le 29 avril 2020, vidéo issue des Archives de la Comédie Française. Crédit photo Nicolas Treatt

Voyage en terres inconscientes : Laure Prouvost, Deep See Blue Surrounding You / Vois ce bleu profond te fondre, Les Abattoirs, Toulouse, du 24 janvier au 20 septembre 2020

2020 fut une année complexe, à la fois rythmée par un besoin plus pressant que jamais de s’échapper de la réalité ou de la supporter par les œuvres d’art, et une année où il fût parfois difficile d’y accéder. Je me permets donc de tricher quelque peu en me remémorant ma visite toulousaine de l’œuvre Deep Blue Surrounding You, créée par Laure Prouvost pour le pavillon français de la Biennale de Venise de 2019 sous le commissariat de Martha Kirszenbaum. Je triche car je n’ai pas pu la voir à Venise mais je me suis réjouie de l’avoir découverte au musée des Abattoirs de Toulouse. Il s’agit d’une œuvre mixte, mêlant  installation, vidéo, sculpture, musique au lexique de l’eau, mais aussi à associations inconscientes et poétiques.

On embarque dans un parcours initiatique, une odyssée ou bacchanale aux airs surréalistes, menant de jeunes artistes de la région parisienne à Venise.  On repère les étapes de ce voyage : le quartier Pablo Picasso de Nanterre, le Palais Idéal du Facteur Cheval,…  On s’oublie et on traverse des contrées brumeuses, bien connues ou imaginaires.

« Un voyage vers notre inconscient. À l’aide de nos cerveaux situés dans nos tentacules, nous creuserons des tunnels vers le passé et le futur en direction de Venise. Suivons la lumière. » Laure Prouvost

Pour aller plus loin : L’art et la Poudre, Aware, Interview de Laure Prouvost et Martha Kirszenbaum

Fenêtre sur Instagram : Per Adolfsen

Là encore je ne joue plus vraiment selon les règles, une page Instagram n’étant pas forcément à proprement parler une manifestation culturelle … mais au cours de cette année recluse, les réseaux sociaux ont comblé un manque d’accès à l’art et à l’évasion. Ainsi, les paysages colorés et poétiques de Per Adolfsen ont été une véritable respiration, un accès, certes éloigné, à un monde extérieur et à une vision de la beauté quotidienne et humbles de la nature. Les compositions aux crayons de couleurs de cet artiste danois sont simplement belles. 

CAMILLE CHU

Retour sur Le Supermarché des Images au Jeu de Paume

L’ouverture de la Collection Pinault à la Bourse de Commerce, l’exposition Matisse au Centre Pompidou, l’exposition Marc Riboud au Musée Guimet… Ce sont tant de choses que j’aurais aimé ajouter à ce flashback culturel, mais coronavirus oblige, on se contentera des quelques temps forts de la culture qui ont quand même pu marquer cette année 2020.
Parmi les expositions que je retiendrai, Le Supermarché des Images au Jeu de Paume. Abordant les enjeux de la surproduction des images et leur stockage, leur diffusion, leur partage dans notre société, l’exposition faisait dialoguer des artistes aussi impressionnants que surprenants. Les œuvres de Kazimir Malévitch, Yves Klein, Sophie Calle, Evan Roth, Geraldine Juárez et bien d’autres étaient au rendez-vous pour se répondre dans l’espace d’exposition, se contredire dans leurs formes, et s’accorder dans leurs valeurs. Un véritable supermarché dans lequel on ne pouvait que faire le choix d’apprécier les œuvres, la scénographie et la médiation.
Et cette exposition était tombée à point nommé : j’ai l’ai visité quelques jours avant le premier confinement, soit avant la fermeture du Jeu de Paume pour un an… Et avant d’être submergée par le flot d’images des réseaux sociaux et des écrans que l’enfermement chez soi nous imposait.

Compléter son propre musée dans Animal Crossing New Horizons

Animal Crossing New Horizons, un jeu du géant Nintendo, est lui aussi tombé à pic. Sorti le 20 mars 2020, quelques jours après l’annonce du premier confinement en France, le jeu était très attendu par les nombreux joueurs de console Switch dont je fais partie.
Si Animal Crossing New Horizons apparaît aujourd’hui dans ce flashback culturel c’est parce qu’au-delà d’être de l’art en soit, le jeu m’a permis de revoir mes classiques en termes d’Histoire de l’Art. Grâce au Musée implanté dans le jeu, les joueurs ont la possibilité de compléter la collection de la galerie d’art avec des peintures, des sculptures et même des estampes. Pour se faire, il faut acquérir des chefs-d’oeuvre sur le marché noir. Mais la chose n’est pas si simple : il faut parvenir à reconnaître les vraies œuvres parmi les fausses présentées. Les contrefaçons ont toujours un détail qui les trahit, comme un sourire à l’envers, une couleur erronée, des personnages manquants ou un objet en trop.
Nintendo ne vous fait pas de cadeaux, il faut avoir une solide connaissance des chefs-d’œuvre (ou une bonne connexion wifi pour trouver l’original sur Google Image) si vous voulez espérer compléter votre collection.

Faites l’expérience par vous-même en suivant ce lien !

CONSTANT DAURÉ

L’avènement des discussions live sur Instagram

2020 sera marquée par cette nouvelle manière de converser, un nouveau format de conférence : le direct Instagram.

Je me souviens d’ailleurs très bien, pendant le confinement du printemps, de la première masterclass à laquelle j’ai assisté de cette façon-là, le 7 avril. L’ECAL, école d’art et de design suisse, s’est adaptée en retransmettant en live sur Instagram la conversation entre l’un de ses enseignants, Lionel Baier et le légendaire Jean-Luc Godard. J’ai été ainsi interpellé par cette figure, traversant les époques, fumant son cigare derrière la caméra, frontale cette fois-ci.

J’ai été marqué par cet évènement ; et j’ai trouvé cette image retransmise du cinéaste très forte. J’en ai fait une capture d’écran, et quelques semaines plus tard, j’ai compris que je n’avais pas été le seul à avoir été saisi : le peintre Guy Yanai, travaillant le plus souvent à partir de photographies, en avait fait un tableau :

Guy Yanai, Jean-Luc Godard (Instagram), 2020

Les conversations Instagram ont été nombreuses et très enrichissantes. Je pense notamment aux talks menés par Jean-Charles de Castelbajac, nous invitant à partager ses conversations avec ses amis, revenant sur leurs carrières ou évoquant leur ressenti sur ces temps troublés. J’ai particulièrement apprécié les discussions avec Michel Gaubert, Agnès B, Alexandre de Betak, Tom Sachs, ou encore Mathieu Lehanneur qui m’a permis de découvrir son travail.

Le grand retour de Sébastien Tellier

L’année commençait pourtant bien : janvier 2020, le génial Sébastien Tellier sort le titre A ballet, annonçant son grand retour après 6 ans d’absence, par un nouvel album intitulé Domesticated et une série de dates de concert.

Mais le nom de l’album, si vous me permettez le jeu de mot, semble avoir rattrapé le musicien : le confinement général a cloitré chacun chez soi, provoquant le recul de sa sortie, mais également le report de ses concerts pour un futur incertain.

Domesticated sera finalement dévoilé le 29 mai, livrant une musique électronique cosmique, vaporeuse et sensible qui sera la bande son de mon été. Relevons d’ailleurs que les influences artistiques de Sébastien Tellier sont riches, le morceau Venezia ayant été enregistré au sein du Pavillon français de la Biennale de Venise 2017, dans l’installation Studio Venezia de Xavier Veilhan.

Les salles de concert demeurant fermées, vivre un concert de Tellier en 2020 était inespéré, jusqu’à l’annonce du concert Arte, capté au cœur de la Gaité Lyrique le 13 novembre 2020. Mêlant ses classiques, tels que La Ritournelle ou Roche, à ses nouveaux morceaux, Sébastien Tellier nous livre une performance magistrale, accompagné de plusieurs musiciens. Il rendra un hommage à son ami Christophe avec Juliette Armanet, en partageant une réinterprétation de sa Dolce Vita. Comme le souhaitait Sébastien Tellier, ce concert nous a permis de souffler quelques instants, nous transportant loin du chaos que nous vivons. À écouter en boucle.

Habiter la forêt, ce que j’aurais souhaité pour 2020.

Les visites d’expositions au musée ont été rares cette année… Et le rôle de la galerie en tant qu’institution culturelle s’est plus que jamais fait sentir, accueillant chacun gratuitement entre ses murs pour présenter le travail d’artistes de tout horizon.

 C’est ainsi que je retiendrai de 2020 l’exposition à la galerie Nathalie Obadia Habiter la forêt de Fabrice Hyber, artiste dont j’apprécie l’univers et le travail. 

Fabrice Hyber, Abri, 2020

Cette exposition s’inscrit bien dans les évènements que nous avons vécus : 2020 aura été l’année de la distanciation, de la redéfinition de nos habitudes, de la redécouverte des espaces que nous habitons. Si certains ont pu quitter la ville pour se mettre quelques semaines au vert, d’autres y sont restés, rêvant sans doute de grands espaces et d’air frais. 

Fabrice Hyber ne nous livre pas seulement une vision lyrique de la forêt, comme lieu de ressource et d’émerveillement, mais une nature à l’origine d’innovation et de technologie, permettant de relever le défi écologique qui s’offre à nous. Entre schémas et dessins, à travers un fourmillement de fusain et un large nuancier de couleurs vives, c’est en observant la nature que l’artiste propose dans ses toiles une vision utopique de la ville, résolument tournée vers un espoir d’écologie.

Bonne nouvelle, cette exposition se prolonge en 2021 : vous avez jusqu’au 23 janvier pour la (re)découvrir !

Fabrice Hyber, Habiter la forêt, jusqu’au 23 janvier 2021, Galerie Nathalie Obadia, 18 rue du Bourg-Tibourg 75004 Paris

MATHILDE PRÉVOTAT

Les Kienholz dénoncent ! Ed & Nancy Kienholz, 5 septembre – 31 octobre 2020, Paris – Grenier Saint Lazare

43 ans après la dernière grande rétrospective française dédiée à Edward Kienholz, la Galerie Templon a présenté de septembre à novembre, des œuvres d’ Edward et de son épouse Nancy.  L’occasion pour nous de redécouvrir ces artistes décidément trop peu exposés en France ! 

Les œuvres de Kienholz sont généralement classées dans le Pop Art même si elles sont très loin des œuvres aux couleurs acidulées représentant la société de consommation. Au contraire… leurs œuvres sont pour le moins morbides et provoquent un sentiment de malaise chez le spectateur. Sentiment accentué par le fait que leurs installations sont grandeur nature. L’on se retrouve ainsi devant des scènes d’abandons d’enfants devant Jody, Jody, Jody, ou devant des scènes de viol devant The Pool Hall, une installation représentant des hommes jouant au billard, visant le sexe ensanglanté d’une femme décapitée. 

Les Kienholz voulaient choquer pour mieux dénoncer. Pari réussi! Tous les travers de la société américaine y passent : sexisme, abus sexuel, racisme etc. Triste constat : ces œuvres créées entre 1978 et 1994, sont toujours d’actualité. 

Kienholz,The Pool Hall, 1993

GIRL POWER ! Hong Sang-soo, La femme qui s’est enfuie

Gam-Hee (interprétée par Kim Minhee) rencontre et converse avec trois de ses amies, son mari qu’elle ne quitte jamais, étant en voyage d’affaires. Si le scénario parait simple voire banal, le réalisateur coréen Hong Sang-Soo nous offre avec La femme qui s’est enfuie un film juste et mélancolique. 

Les images sont splendides. La beauté réside dans la simplicité des plans fixes, interrompus régulièrement par des zooms sur ces femmes qui conversent. Ces dernières sont quant à elles interrompues par des hommes, véritables intrus. Les hommes n’ont en effet qu’une place anecdotique dans ce triptyque de rencontres, venant perturber, succinctement les conversations avec des interventions ridicules, grotesques. Finalement, Hong Sang-soo offre un véritable hommage aux femmes avec ce film court (seulement 1h20!).

Ce film est poétique, parfois drôle, toujours sensible, à voir !

Zaomagazine fête son premier anniversaire; c’était un plaisir de passer cette année avec vous, merci pour votre lecture et pour votre soutien. Nous nous retrouvons en 2021!

La résidence Zao #1 – Le passage d’arcus

Vous le savez, Zao Magazine est résolument tourné vers l’art : nous nous intéressons aux manifestations culturelles, à l’actualité des galeries et à l’avenir de notre patrimoine. Mais nous essayons toujours aussi de garder un œil sur la création contemporaine, au sens large.

Et très souvent, il nous brûle d’envie de partager le travail des plus talentueux. C’est pourquoi nous avons décidé de créer la Résidence Zao, terme un peu audacieux mais par laquelle nous souhaitons donner carte blanche à un créatif le temps de quelques posts pour présenter un contenu exclusif.

Si nous avions rencontré Armande Gallet pour évoquer son travail de commissaire d’exposition avec son association étudiante, c’est aujourd’hui son travail d’illustratrice que nous souhaitons mettre en avant. Dans ce domaine, Armande est une autodidacte : le dessin est pour elle une passion, à laquelle elle se dédie lorsqu’elle a du temps libre pour se concentrer et créer. Son carnet de croquis est une suite d’expérimentations : gouache, aquarelle, crayon de couleur ou feutre noir, elle explore différents univers. Ses dessins tiennent en général sur quelques centimètres.

A l’échelle de sa main, un petit monde se déploie : projections mentales dans des paysages fictifs, épiphanies du quotidien et mythologies personnelles se mélangent entre les pages du cahier. Pour la Résidence Zao, elle nous transporte dans son univers par une série de dessins intitulée « Le passage d’Arcus ». 

↓ Retrouvez sa carte blanche sur le compte Instagram de Zao Magazine. ↓

Retour sur Living Cube #4, avec sa fondatrice, Élodie Bernard

Découvrir de nouveaux artistes, échanger sur les œuvres en toute convivialité et repartir avec l’une d’entre elles sous le bras, voilà le format rêvé d’une exposition. C’est du moins ce que propose Élodie Bernard, commissaire d’exposition et enseignante en arts plastiques, avec Living Cube. Au sein de son appartement à Orléans, Élodie reçoit des amateurs d’art pour présenter une collection éphémère d’œuvres, glanées au fil de ses rencontres et visites d’atelier.

Ce qui est plaisant avec ce format, c’est qu’il se situe entre le centre d’art, où la création contemporaine est présentée et soutenue, et la galerie, puisque toutes les œuvres sont à vendre, pour tous les budgets. J’admire chez Élodie son authenticité et son entrain, et ce à tous les niveaux de la vie d’une œuvre. Que ce soit auprès des artistes – le plus souvent émergents – qu’elle soutient, lors de médiation et d’échanges avec les curieux amateurs qu’elle reçoit, ou lorsqu’il s’agit de conseiller et d’accompagner des collectionneurs ; elle sait installer une relation de confiance.

Malgré les incertitudes liées à la crise sanitaire, la quatrième édition de Living Cube s’est tenue du 23 octobre au 8 novembre 2020, avec l’aide d’Albane Dumas qui a développé les partenariats. Après avoir visité l’exposition, j’ai posé quelques questions à Élodie pour revenir sur cette dernière édition et échanger sur son ressenti dans ce contexte si particulier pour la culture.

Le bureau. Peinture par Olivier Nevret, circles & squares, 2020.
Au sol, Xenia Lucielaffely, série de coussins impressions velours, 2020.

Une installation ready-made de Léo Fourdrinier, un tirage de Jean-Baptiste Bonhomme, une peinture minimaliste, quasi conceptuelle d’Olivier Renevret ou un fusain de Diego Movilla : on remarque une sélection éclectique d’œuvres, traversant différents univers et références. Comment as-tu réalisé ta sélection cette année ?

La sélection de cette année a été plus complexe à réaliser, dans la mesure où, le temps passé dans les ateliers a été réduit à cause de la situation actuelle.

J’ai donc choisi de présenter des œuvres que j’avais vues lors d’expositions ou de salons. Pour le choix, je n’ai rien changé, l’idée étant de me fier à mon instinct, de choisir les pièces de manière intuitive. Se fier à ce que l’œuvre éveille en moi lors de notre rencontre.

Est-ce que tu veux nous parler d’une œuvre en particulier ?

Avec plaisir ! Je te propose de nous arrêter sur le grand dessin de Grégory Cuquel « Blabla, au grand apéro » réalisé en 2020. On y voit différents éléments collés sur un grand format, des verres à pied à peine griffonnés, des carafes sur lesquelles sont dessinés des visages : on reconnaît Apollinaire ou encore Picasso, des dessins sur fond de papier bleu ciel ou parme, des mains qui arrivent dans le cadre, piochant ici une olive, posant sa cendre de cigarette là. On devine la végétation, le vert domine la composition. C’est un dessin qui est plein d’énergie, on a envie de s’attarder avec tout ce groupe, sorte d’apéro idéal, dans lequel Grégory Cuquel a réuni une majeure partie de ses modèles. C’est en quelques sortes le Déjeuner sur l’herbe de notre époque.

La salle à manger. De gauche à droite : Jean-Baptiste Bonhomme, Home sweet home, 2020;  Grégory Cuquel, Blabla au grand apéro, 2020; Julien Desmonstiers, Canicule, 2019.

L’annonce d’un deuxième confinement est tombée en plein milieu de l’évènement. L’œuvre choisie pour le visuel de l’exposition, Home sweet home de Jean-Baptiste Bonhomme, semble alors reprendre tout son sens, nos esprits étant piégés entre les murs de nos maisons. Tu as eu cependant la chance d’être confinée entourée de toutes ces œuvres. Comment s’est déroulée cette édition particulière de Living Cube ?

Living Cube n’est pas une exposition comme les autres. Comme tu as pu en vivre l’expérience, il s’agit de plusieurs rendez-vous conviviaux. Toujours en petit comité avec la présence d’un ou deux artistes autour d’un brunch, d’un dîner, d’un café, afin de créer une atmosphère propice à l’échange, d’envisager une autre façon d’appréhender l’œuvre et la collection. Nous avons eu la chance d’ouvrir une semaine avant les annonces gouvernementales. Le public a donc pu profiter un minimum de l’accrochage et surtout de la présence des artistes le premier weekend d’ouverture. Puis l’annonce est tombée, c’était un coup de massue pour moi. Heureusement, Albane Dumas, ma collaboratrice toujours pleine d’énergie, m’a suggéré de maintenir les rendez-vous. Nous avons donc fait le choix de maintenir la possibilité de prendre rendez-vous afin de venir voir les œuvres, en vrai. Bien sûr, ça reste un projet modeste, mais il est important pour nous de soutenir les artistes jusqu’au bout et ça passe par là, maintenir coûte que coûte, l’accès à l’art.

Living Cube permet avant tout de faire découvrir et partager la création contemporaine, mais est également construit autour de la passion de la collection d’art. On a souvent comme idée que collectionner serait réservé à un cercle restreint de personnes, de grands connaisseurs, ou de grandes fortunes. Par Living Cube, chacun est invité à compléter sa collection ou à la commencer. Comment est-ce que ce que le déclic d’acheter une œuvre se fait selon toi ?

Très bonne question. Le coup de cœur ? Je crois que ce qui déclenche l’envie de partager son quotidien avec une œuvre, c’est le fait de l’avoir en tête tout le temps après l’avoir vue en vrai. Impossible de s’en défaire, et je sais de quoi je parle (rires).

Tu présentes dans l’exposition des peintures de Bruno Peinado, figure historique dans le paysage français. Tu me confiais que c’était un immense honneur pour toi de présenter les œuvres d’un artiste que tu as étudié et qui t’a marqué dans ta jeunesse. Quels seraient pour toi l’artiste -mort ou vivant- ou l’œuvre, que tu rêverais de voir dans une édition de Living Cube ?

Il y en a tellement! Je rêverai de montrer une Marquee de Philippe Parreno, mais là il faudrait que j’ai un château ! Les sérigraphies de John Giorno, pour leur irrévérence, les aquarelles de Pierre Ardouvin. Je pense aussi aux tapisseries de Laure Prouvost, aux sculptures d’Ann Veronica Janssens… Bref, la liste est longue, mais les éditions ne sont pas terminées, l’an prochain nous fêtons les 5 ans et je ne compte pas m’arrêter là !

Le bureau. Léo Fourdrinier, Dogs monologue, 2017. Au mur de gauche à droite: Mël Nozahic, La monture, 2018; Mes adieux, 2017.

Living Cube est résolument ancré à Orléans, par la communauté d’amateurs et de collectionneurs que tu as su créer, mais aussi par les différentes entreprises partenaires -parfois bien éloignées de l’art contemporain à première vue- qui t’accompagnent. L’actualité culturelle et du marché de l’art est chamboulée par les raisons que nous connaissons tous. L’ouverture de Living Cube s’est tenue le week-end où la FIAC aurait dû se tenir. J’ai l’impression que cette absence d’actualité parisienne semble recentrer l’attention de chacun sur les initiatives locales, ce qui me semble une bonne chose. Qu’en penses-tu ?

Je ne vais pas dire le contraire, bien que je sois une amoureuse de la semaine FIAC ! C’est une bonne chose oui, car il y a énormément de structures qui proposent des programmations de qualité hors de Paris et ça, depuis longtemps. Je trouve ça dommage que les projecteurs soient tournés vers les régions et les projets à échelle locale seulement maintenant. De plus, les projets – je préfère ne pas parler d’initiatives, je trouve que cela est réducteur pour les acteurs du milieu culturel déjà inscrits dans une démarche qui prend place sur les territoires – qui se développent en région n’ont pas perdu de vue l’Humain. Car l’art et la culture sont avant tout des aventures humaines.

Plus largement, nous nous intéressons actuellement chez Zao aux bouleversements que la crise du Covid pourrait engendrer pour le secteur culturel. Par ta proximité avec les institutions culturelles et artistes, de quelle façon penses-tu que cette crise pourrait modifier le paysage artistique ?

Difficile de se projeter, peut-être que cela va se jouer d’une part, dans l’ampleur des projets, en en finissant avec les expositions « évènementielles », en repensant les foires et les salons.

D’autre part sur la relation humaine : remettre au cœur de la création l’artiste, l’œuvre et le spectateur. Mais ça c’est dans le meilleur des mondes, car la dure réalité est déjà entrain de frapper les lieux culturels et les artistes. Des lieux ferment, comme le Centre d’art du Parc Saint Léger de Pougues-les-eaux, ou encore plus gros, le Mo.Co à Montpellier…

Cette édition vient de se terminer, cela fait maintenant la quatrième année : qu’est-ce que cette expérience t’apporte et qu’est ce qui te pousse, chaque année, à recommencer cette aventure ? 

Living Cube me permet de traverser la France de droite à gauche et de haut en bas pour découvrir des démarches artistiques, ça me permet d’étendre mes connaissances et de rencontrer beaucoup de monde. D’avoir un contact privilégié avec les artistes, d’établir une relation de confiance. Être au cœur de l’atelier, voir les œuvres en cours de création. Prendre le temps d’échanger sur la pratique, écouter les incertitudes, les questionnements des artistes. C’est tellement enrichissant. C’est aussi l’envie de partager avec un grand nombre ce plaisir à regarder une œuvre, en la présentant à un public. Chaque année, de nouvelles personnes viennent voir l’exposition. Ce qui est beau, c’est que tous et toutes ne sont pas forcément des spectateurs avertis. Ils sont curieux et ouverts ! Leur regard se construit et leur sensibilité s’affine au fur et à mesure des éditions et ça, c’est vraiment une belle preuve de réussite pour ce projet. C’est tout ça qui fait que chaque année j’ai envie de continuer !

Le salon. Au mur, des toiles de Bruno Peinado et Mael Nozahic cohabitent avec les sculptures d’Ugo Schiavi.

Tu as également signé récemment l’exposition AFTERPARTY à la Fondation du doute de Blois, avec une géniale sélection d’artiste. Quels sont tes futurs projets, ou qu’est-ce que nous pouvons te souhaiter pour les mois à venir ? 

AFTERPARTY réunit plusieurs artistes avec lesquels nous travaillons depuis quelques années et que vous avez probablement déjà vu passer dans Living Cube. Pour les prochains projets, ce sera pour la galerie La peau de l’ours à Bruxelles en janvier. Il s’agit d’une exposition collective autour de la peinture, du quotidien et du geste quotidien sur laquelle je travaille en ce moment même, avec Dorian Cohen, Marie Dupuis, Amandine Maas et Lise Stoufflet. Sans oublier que nous préparons activement les 5 ans de Living Cube avec une grande nouveauté en perspective, qui devrait être dévoilée d’ici janvier !

Merci Élodie pour ta disponibilité ! Nous te retrouvons sur ton compte Instagram @regard_b, et pour les plus curieux, l’exposition continue sur @livingcubexhibition. Vous pouvez également revivre l’expérience de Living Cube par cette vidéo de WIP ART réalisée l’année dernière.

À très bientôt et « tout le meilleur » pour tes futurs projets !

CONSTANT DAURÉ

Galeries commerciales et musées publics : les liaisons dangereuses ?

Historiquement proches, les galeries d’art commerciales et les musées publics français se sont toujours acoquinés, que ce soit pour des achats ou des prêts d’oeuvres. Le musée peut ainsi renflouer ses collections ou faire une beauté à ses expositions, tandis que la galerie bénéficie du sceau de légitimité de l’institution muséale, faisant entrer ses artistes un peu plus dans l’histoire de l’art… tout en faisant monter leur cote. Face à ce phénomène grandissant et qui prend de multiples formes innovantes, Zao s’est intéressé aux stratégies de partenariats entre galeries commerciales et musées publics.

Les 24 et 25 octobre 2020, quelques jours avant le confinement qui nous frappe une deuxième fois, « WANTED! » s’est tenu au sein du Grand Palais. Le concept ? Une chasse au trésor bien particulière avec en guise d’objets à trouver, des oeuvres d’artistes contemporains. Les visiteurs étaient invités à se transformer en archéologues modernes pour explorer et déterrer les objets rares enfouis dans la jungle de fer qu’est la Nef du Grand Palais. Les chanceux découvrant les oeuvres pouvaient les garder. 

Daniel Arsham, Xavier Veilhan, Jean-Michel Othoniel, Laurent Grasso, Bharti Kher, Takashi Murakami, Elmgreen & Dragset, Bernard Frize, Emily Mae Smith… 20 artistes français et internationaux ont joué le jeu et ont vu leurs oeuvres cachées dans l’immense espace de 13  500 m2. 

Publication de l’Instagram WANTED! avec l’oeuvre de Jean-Michel Othoniel à trouver
@wanted__gp

Les médiateurs sur place nous soufflent que les sessions atteignent parfois 500 visiteurs. Avec seulement 20% de capacité d’accueil dû au Covid-19, tout le monde croit avoir sa chance. Mais impossible de leur soutirer le lieu de la prochaine cachette.

Toutefois, la véritable particularité de cet événement tient du fait qu’il ait été organisé par la galerie Perrotin, en collaboration avec le Grand Palais, en 14 jours. Chris Dercon, président de la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais, explique que « ces expérimentations font partie de l’histoire de l’art d’avant-garde, amenant certains artistes à aller jusqu’à cacher voire faire disparaître les œuvres. WANTED!, en coopération avec la galerie Perrotin, s’inscrit dans cette continuité, mais en pimentant un peu les choses… », justifiant sa coopération avec un acteur commercial privé. 

La galerie Perrotin, quant à elle, « ne déteste pas la publicité »[1], tandis qu’elle multiplie ces dernières années ce type d’opération. On se souvient en effet de son intervention au musée du Louvre où, en 2016, le photographe-plasticien phare de l’écurie Perrotin JR avait recouvert la pyramide pour la faire disparaitre, opération renouvelée en 2019. Ou encore au Tripostal à Lille qui a consacré une exposition Emmanuel Perrotin lui-même et à ses artistes à l’occasion de ses 25 ans. A chaque fois, la méga-galerie semble, de façon plus ou moins explicite, prendre en charge l’opération. En tout cas, elle met le paquet sur les actions de communication pour transformer ces événements en véritable coup de buzz. WANTED! bénéficiait d’un compte Instagram qui couvrait en temps réel l’événement, à coup de stories et de publications, pour ses 2 000 et quelques abonnés.

Vue de la Pyramide du Louvre, « cachée » par JR, 2016
Courtesy de l’artiste

Les musées deviennent alors les terrains de jeux pour la galerie, qui peut présenter des événements à forte visibilité au sein de prestigieuses institutions pour ainsi imposer les artistes qu’elle représente… et faire monter leur cote sur le marché de l’art.

Si l’association galerie-musée peut paraître surprenante au premier regard, des événements de ce type ne cessent de se multiplier en France, révélant progressivement les liens sous-jacents entre sphère publique et sphère privée de l’art.

Dès 1982, Howard Becker développe le concept de « mondes de l’art » [2] qui, au pluriel, permet de souligner la coexistence d’univers d’artistes, des circuits de galeries, des réseaux de musées, tous reliés par des modes de financement et des publics spécifiques. Aujourd’hui plus que jamais, ce concept correspond à la réalité du secteur culturel. Avec l’accroissement des nouvelles technologies et les effets de la mondialisation, les échanges entre les mondes de l’art n’ont cessé de s’accélérer, de se diversifier et de se complexifier. 

Les relations sont d’autant plus ambiguës que musée public et marché sont deux entités qui peuvent paraître antinomiques. Pourtant, comme l’affirme François Mairesse dans Le musée hybride, « les musées n’ont jamais connu de séparation absolue avec le marché » [3], et encore moins avec le marché de l’art, qui partage avec les institutions muséales les mêmes sujets artistiques. Si bien que face aux transformations de la société de ces dernières années, la dichotomie souvent opérée entre musée et marché de l’art s’est atténuée ; on remarque par exemple le rapprochement entre grandes maisons de vente et musées pour des ventes et des acquisitions, pour l’organisation d’événements ou encore pour échanger leurs services. Cette réconciliation se produit notamment dans les pays anglo-saxons, où les relations qui lient musées et marché de l’art sont beaucoup plus décomplexées qu’en France. Les collections nationales françaises sont inaliénables et donc interdites à la vente sur le marché de l’art [4]. Toutefois, le marché de l’art gagne du terrain sur le domaine des musées français, par toutes sortes de collaborations diverses et variées. 

Les galeries sont des acteurs du marché de l’art qui, tout comme les maisons de vente, souhaitent redéfinir les liens avec les musées, en écho aux nouvelles pratiques qui s’y déroulent. Une vision réductrice, qui subsiste encore aujourd’hui est que la galerie commerciale, issue du monde marchand, et musée, ancré dans le secteur public, n’ont pas à interagir ; l’un a pour but de vendre l’art à un cercle restreint de collectionneurs, l’autre a pour mission de conserver et diffuser la culture au plus grand nombre. Une étude de 2017 sur les interactions entre les musées européens et américains avec le secteur privé de l’art [4] montre que 73% des musées préfèrent travailler directement avec artistes pour organiser une exposition, évitant ainsi toute interaction avec les galeries. La méfiance de l’un envers l’autre est alors encore d’actualité.

Qui n’est pas alors surpris de voir sur les murs du prestigieux musée d’Orsay, le nom de la célèbre galerie Thaddeus Ropac dans le cadre de l’exposition de l’artiste chinois contemporain « Yan Pei-Ming, Un enterrement à Shanghai » (du 1er octobre 2019 au 12 janvier 2020) ? Rien d’autre n’est précisé : s’agit-il d’un prêt d’oeuvre ? d’un mécénat ? d’une coproduction ? Les relations galerie-musée, bien que non dénoncées dans la presse contrairement aux multiples scandales musée-entreprise ou musée-marque (un exemple récent peut être celui du Louvre AirBnb), sont belles et bien présentes, mais elles demeurent floues et inexplorées. Derrière beaucoup d’opérations liées à de l’art contemporain dans une institution culturelle, un partenariat galerie-musée s’est subtilement tissé.

Vue de l’exposition « Yan Pei-Ming. Un enterrement à Shanghai » au Musée d’Orsay
Courtesy de l’artiste

Le musée est historiquement de l’apanage des pouvoirs publics en France. La définition actuelle du Conseil International des Musées (ICOM) souligne dès ses premiers termes les valeurs de service public fortement attachées au musée : « Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »

La galerie d’art commerciale, elle, a pour but de « de concilier le caractère non commercial de l’œuvre –  fruit du travail d’un artiste libre  – et les réalités marchandes ». Alors que la part de galeries d’art ancien primait jusque dans les années 2000, elles sont 90% à vendre de l’art contemporain en 2016. Cette restructuration du monde des galeries amène de nouvelles dynamiques et des changements complexes au sein de l’écosystème culturel. Le musée n’est pas moins atteint de ce boom de l’art contemporain.

Les formes que peuvent prendre ces relations sont alors multiples ; mécénat et soutien financier, enrichissement des collections, co-organisation d’exposition, événementiel… Une diversité dans la nature des liens peut être observée. Le musée Guimet, lui, se concentre exclusivement sur l’organisation d’expositions intitulées « Cartes Blanches » et tisse des liens avec les galeries dans cette situation. Collaborant notamment avec des grandes galeries comme Perrotin (2019, 2020) ou Maria Lund (2019), le musée d’arts asiatiques s’appuie sur les galeries d’art contemporain pour mettre en place ces cartes blanches dédiées aux artistes vivants, se distinguant du reste de sa programmation basée sur des arts plus traditionnels. C’est une façon de dynamiser ses collections parfois perçues comme anciennes et de rappeler que le musée a la particularité de couvrir une vaste partie de l’art asiatique, aussi bien géographiquement que chronologiquement. Récemment, c’est l’artiste à la mode Daniel Arsham qui a investit l’espace du musée Guimet, en proposant un jardin zen et une nouvelle série de sculpture. Derrière cette exposition « Moonracker », inaugurée le 21 octobre 2020 et coupée court par le reconfinement, toujours et encore la galerie Perrotin.

En collaborant avec les galeries, les musées peuvent donc instaurer un dialogue entre art actuel et art contemporain. Le musée Guimet qui souhaite renouer avec l’art contemporain pour bénéficier d’un nouveau positionnement et d’une image dynamique. La mise en place de tels partenariats émane parfois des services de direction des musées et résulte parfois des affinités entre différents acteurs du monde de l’art. Toutes les parties y trouvent leur compte ; pour la galerie, il s’agit de légitimer ses artistes et ses activités. Cette consécration permet de faire monter la cote de l’artiste représenté sur le marché de l’art grâce au prestige associé à un musée. Le musée y gagne également sur le plan du financement ; la galerie peut accepter de financer l’exposition, les coûts de productions, les coûts annexes, la communication… Dans un contexte financier difficile marqué par la baisse des subventions de l’Etat, une nouvelle compétitivité se met en place et la nécessité de multiplier les actions de mécénat et les partenariats s’accroît. 

De l’autre côté, les galeries sont désormais capables de produire des expositions dignes d’être muséales, impliquant non seulement l’artiste et sa galerie mais également des mécènes, des agences de conseils, des sociétés de production et des institutions. Le positionnement de la galerie quant à ces expositions n’est pas anodin : elle souhaite en tout point se rapprocher d’une exposition que l’on pourrait trouver dans un musée. Elle déploie donc un dispositif scénographique, met en place des documents de communication, entreprend des recherches poussées pour bien documenter leurs sujets, propose des catalogues d’exposition, se munit de conservateurs reconnus, et reprend des codes propres aux expositions d’une institution culturelle classique. Tout cela est gratuit pour le visiteur (contrairement à la plupart des expositions de musées). La galerie offre une « exposition désintéressée »[6], montrant leur désir d’élargir leurs publics.

Ainsi, la galerie et le musée s’influencent mutuellement au niveau de leurs expositions, leurs dispositifs, leurs pratiques, pour aboutir à un rapprochement de leurs spécificités. D’un côté, les musées sont en effet en demande de l’art le plus récent, le plus expérimental possible, pour offrir des nouvelles expériences culturelles à ses publics et pour enrichir les collections publiques. De l’autre, les galeries sont désormais en mesure de fournir des expositions de qualité muséale, mais leur dimension commerciale appelle à ce qu’elles soient toujours cautionnées par des instances de légitimation comme les musées.

Il est donc indéniable que les galeries agissent avec les institutions muséales dans des relations complexes. Les réseaux s’interpénètrent fortement, si bien que l’institution muséale finit par adopter certains aspects des galeries, comme l’application de stratégies marketing similaires, la découverte de nouvelles formes artistiques, un travail sur l’image, le développement de l’événementiel et de la starification. Il en vient même une sorte d’inversement des rôles. Les musées deviennent des machines industrielles, prêtant plus attention à l’optimisation de leurs recettes, faisant de plus en plus appel aux techniques du privé et à leurs services, augmentant la circulation de leurs oeuvres. Les galeries ressemblent de plus en plus à des musées : création de collection permanente, d’expositions temporaires, d’éditions de catalogue, de conférences… Elles parviennent aussi occasionnellement à obtenir des prêts de grands musées. Aujourd’hui, certaines galeries empruntent des oeuvres aux plus grandes collections publiques. Une enquête du Quotidien de l’Art avait montré que la galerie Malingue a emprunté des toiles de Roberto Matta au Centre Pompidou et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. La galerie Gagosian s’est vu livrer des toiles de Francis Bacon du Centre Pompidou pour réaliser une exposition temporaire autour de l’artiste à New York. Si cette pratique n’est pas encore généralisée, notamment parce qu’elle repose sur un flou juridique du Code du Patrimoine, elle est défendue par le galeriste Georges-Philippe Vallois, qui pointe du doigt « l’inflation généralisée de prêts aux musées » de la part des galeries : 

« Cela fait partie de notre mission de rendre visibles ces œuvres au public. Mais la réciprocité est essentielle, musées et galeries sont complémentaires. Il faut évidemment que les expositions en galerie soient historiquement importantes, et comprennent notamment un catalogue. Ouvertes à tous, elles peuvent aussi permettre une revalorisation artistique d’un créateur cantonné aux réserves. » [7]

Ses collaborations s’inscrivent-elles dans une démarche de démocratisation de l’art et de la culture ? C’est du moins ce qu’affirme Emmanuel Perrotin : “Les œuvres d’art sont plus que jamais précieuses, c’est pourquoi il est important de les offrir au plus grand nombre”, à propos de l’événement WANTED!, gratuit et ouvert à tous. On peut penser que ce genre d’événement permet d’attirer le public d’une galerie, plus jeune et plus branché, dans les lieux du musée. Le musée peut même espérer construire des expositions qui se rapprochent des expositions “blockbusters” ou monter des événements qui vont attirer un nouveau public le temps de quelques jours. 

Inversement, on peut aussi s’imaginer que les visiteurs d’un musée comme le musée Guimet ou encore le Grand Palais, qui propose des expositions “blockbusters” destinées au grand public, peut découvrir le monde caché des galeries. Déconstruire l’image mythique et inaccessible de la galerie, c’est un des buts lorsque celle-ci investit l’espace muséal.

Démocratisation ou dérives commerciales dont fait l’objet le musée ces dernières années ? On a largement critiqué les partenariats tissés entre les musées et les marques commerciales. Et la galerie demeure une entreprise à but lucrative. Utiliser, voire louer l’espace muséale pour organiser une exposition à l’honneur d’un de ses artistes et faire monter sa cote ou pour monter un événement attirant toujours plus de visiteurs et polir son image de galerie est une pratique qui peut être questionnée, tant du côté des musées que du côté de la galerie.

Quoi qu’il en soit aux conséquences du Covid-19, la nécessité de coopération est plus que jamais soulignée par les acteurs du monde de la culture. Dans une société fragilisée par la crise sanitaire, le secteur culturel est en première ligne pour subir les conséquences économiques et sociales. Les galeristes doivent se réinventer et un des moyens à cela semble être la collaboration : « Les galeries sont beaucoup plus disponibles à collaborer » affirme un galeriste, tandis qu’une autre explique que « ce sont des périodes où il faut essayer de partager au mieux et d’inventer de nouvelles formes de communication ». 

Bousculant la hiérarchie du monde de l’art et modifiant progressivement les offres culturelles, les partenariats galerie-musée poussent à repenser les rapports entre le privé et le public du secteur culturel.

CAMILLE CHU

« Le monde se détache de mon univers » Et ses commissaires d’exposition

En septembre, le collectif échelle réelle, composé des élèves du master 2 Sciences et Techniques de l’Exposition de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, présentait à la Galerie Michel Journiac son projet de fin d’année sous la direction de Madame Françoise Docquiert et en collaboration avec le photographe Raphaël Dallaporta. Cette exposition intitulée Le Monde se détache de mon univers interroge les difficultés d’imaginer le futur dans un contexte sociétal marqué par « l’instabilité économique, l’urgence climatique et les dérives du progrès industriel ». En sélectionnant seize artistes émergeants, les étudiants ont pu offrir leur point de vue sur cette thématique riche, rassemblant des oeuvres aussi diverses par leur forme que par leur réflexion.

A cette occasion, j’ai rencontré Armande Gallet et Virna Gvero, deux des dix-neuf curatrices et curateurs. Nous avons discuté des rapports humains dans le contexte de l’anthropocène, du lien de l’artiste contemporain à la nature ou encore du processus de mise en oeuvre d’une telle exposition d’art. Voici donc un aperçu de ce riche entretien.

LE MONDE SE DETACHE DE MON UNIVERS

L’exposition emprunte son titre à un vers de Paul Eluard, « Ne plus partager », ce qui peut surprendre en ce que jamais le poète n’a pu exprimer de doute ou d’angoisse sur l’avenir de nos sociétés post-industrielles. Pour autant, il s’accorde parfaitement avec la vision du collectif étudiant et de ses échanges avec Raphaël Dallaporta, centrée sur une remise en question de la notion de progrès technique et technologique dans le monde actuel qui se sépare de son environnement, vit dans un monde incarnant à son paroxysme la dichotomie « nature/culture ».

Armande : « C’est de cette notion et de cette remise en cause du progrès que l’on est partis. Mais c’est quelque chose de très vaste et en en parlant entre nous, on se rendait compte qu’on commençait à partir sur une de ces expositions sur l’anthropocène, un peu comme l’exposition Jusqu’ici tout va bien qu’il y avait à ce moment au Cent-Quatre. En fait, c’était trop massif d’essayer de traiter de  l’avenir de l’humanité, du futur au complet, etc. On se disait que dans une galerie de 100m², à notre échelle, c’était ridicule de s’attaquer à cette question. Ça ne colle pas au contexte dans lequel on est. (…) On a recentré notre sujet vers ça parce que les œuvres des artistes nous inspiraient. Donc on a un peu forcé la main en rassemblant des artistes, de façon peut être un peu artificielle, puisqu’ils n’avaient pas forcément une esthétique commune, mais il y avait là des préoccupations qu’on sentait chacun dans nos vies, qui est de voir dans son quotidien les évolutions du monde qui change, sans pouvoir contrôler cette évolution, ni  pouvoir agir, de se trouver attaquer dans notre confort.

Virna : Le vers de Paul Eluard est venu dans un second temps, ça a été une exposition sans titre jusqu’à très tard. Car le titre aurait pu limiter le projet, et l’amener vers une certaine direction. Paradoxalement, c’était la décision qu’on a le moins débattu (contrairement à la peinture, à la scénographie qu’on a débattu jusqu’à la dernière minute). Notre camarade Flavio a lu le vers et on s’est tout de suite dit que c’était très bien.

Armande :  Moi personnellement, quand je pensais au titre de notre expo, je pensais à une fenêtre, à un titre visuel sous la forme d’une fenêtre. C’est un motif dont on parlait beaucoup, parce qu’il y avait des œuvres qui nous intéressaient par rapport à cette thématique. Cela matérialise une paroi entre le monde intime et le monde public, entre l’intérieur et l’extérieur. Quand Flavio a trouvé ce vers, c’était la phrase qui permettait de mettre des mots sur cette paroi, qui peut s’ouvrir et se fermer, et c’est pour ça qu’il y a eu cette adhésion globale : le vers était parfaitement posé sur le visuel qui était aussi conceptuel de la fenêtre.

Ariane (Zao) : L’affiche de l’exposition part également du motif de la fenêtre, est-elle venue en même temps ?

Armande : Il y a deux éléments : l’affiche est en fait une maison où il y a justement ces ouvertures et on voulait qu’il y ait ces insistances sur ces ouvertures ; puis un dessin qu’on a fait pour le vernissage, qui reprend un peu cette esthétique.

Virna : Oui c’est sûr, je pense qu’il y avait aussi une œuvre de Jean Claracq qu’on avait choisi pour exposer, même si finalement on en a exposé une autre et il y avait ce motif de la fenêtre. Dans l’exposition, il y en a plein : les vitrines investies par le collectif, ce sont des fenêtres ; l’écran de l’ordinateur, que l’on utilise tous les jours, ça en est une aussi en quelque sorte ; le baldaquin de Camille Juthier, ce n’est pas une fenêtre, mais je trouve que ça en est une parce qu’on peut s’y installer et regarder l’exposition à travers les bâches de plastique qui la composent. Donc on a une vision brouillée, on a une paroi. Cela symbolise cette idée de regard qu’on a vers l’avant, et cette envie aussi de notre part, de ne pas donner de vision, d’interprétation. Par exemple, pour les œuvres de Danila Tkachenko, les photographies, où on a ces monuments d’un futur qui n’a jamais existé deviennent des monuments de nos convictions et des ambitions dont il ne reste plus que ça, des monuments couverts par la neige. Donc ce motif de la fenêtre revient de manière plus subtil, et c’est très important, tout comme la dynamique extérieur / intérieur qui était au centre de notre réflexion.

Armande : Le mot « détachement » dans le titre est LE mot juste pour caractériser tout ce que l’on veut dire, autant sur le détachement physique, la matérialité de cette paroi, que sur ce que ça implique conceptuellement.

Virna : C’est cette idée que c’est le monde qui se détache plutôt que l’individu qui se détache, c’est ce qu’on a essayé de présenter dans l’exposition, à travers cet intérêt pour la vie quotidienne des artistes et de leur vécu, ce qui se perd souvent avec la lecture que les commissaires font des œuvres.

FOCUS SUR UNE ŒUVRE

Jean Claracq, Villa Romaine, 2017, huile sur toile, 68x68cm, Courtesy of the artist and Galerie Sultana, Paris

Cette œuvre figure un immeuble sur le toit duquel sont postées des sculptures antiques. Des fenêtres s’ouvrent sur la vie des habitants, juxtaposées les unes aux autres, sans communication. Aucun échange n’est possible avec les personnages, entre eux ou même avec les sculptures. La représentation de cette atmosphère où se confrontent les époques et le sentiment d’isolement rappelle l’« inquiétante étrangeté » freudienne qui se dégage des peintures métaphysique de Giorgio de Chirico. La toile nous met face à la fragmentation des espaces urbains et mentaux dans la société contemporaine.

DÉPLACER LE REGARD : L’ŒUVRE D’ART, « UNE FENÊTRE OUVERTE SUR LE MONDE » EN 2020

La fenêtre est un véritable topos en histoire de l’art, Alberti – architecte et grand théoricien de l’art à la Renaissance – avait d’ailleurs défini le tableau comme une « fenêtre ouverte sur monde ». Il est donc passionnant que ce motif soit ré-approprié en 2020 par échelle réelle pour retourner le paradigme humaniste du rapport de l’humain et de l’artiste à la nature. L’exposition aborde largement la question de l’anthropocène, de questions climatiques et du lien urbain à la nature.

Cependant, Virna ne conçoit pas ces œuvres comme un retournement, une révolution mais bien plus comme un « déplacement du regard » pour s’éloigner d’un anthropocentrisme dominant dans notre culture et abandonner l’illusion que c’est l’homme qui (re)crée le monde et la nature.

Armande :  La tradition artistique s’est beaucoup fondée sur la vision de l’homme qui contrôle, maîtrise le monde. Il y a un aspect très politique de cette vision humaniste de la société : il y a une maîtrise par l’homme de son environnement par les institutions et le système qu’il a mis en place. »

Ainsi,  Le monde se détache de mon univers donne à voir comment l’homme transforme la nature, cherche à la contrôler artificiellement, pour finalement s’en déconnecter.

FOCUS SUR UNE ŒUVRE

Camille Juthier, Delightfull falls, 2019, bâches plastiques et plantes, courtesy of the artist

Cet immense baldaquin de plastique renferme comme un herbier gigantesque des plantes qui se décomposent lentement sous les yeux du spectateur. Comme des clins d’yeux aux traditions de l’étude scientifique de la nature et de la représentation du motif floral dans l’histoire visuelle de l’art, cette installation vit et meurt face à nous, malgré cette mise à distance et cette intervention humaine. Le spectateur peut entrer dans cet espace et regarder le monde au travers de cette paroi translucide mutante, éclairée par une ampoule recouverte de matière organique ou reproduisant le végétal.

DES ŒUVRES D’ART COMME SYMPTÔMES

Mais le collectif refuse de présenter des œuvres trop critiques ou tout du moins trop démagogiques. Le propos de l’exposition est de pousser le visiteur à la réflexion sans lui imposer un discours fermé. Ainsi, on ne trouve sur place que peu de textes, aucun cartels fixés au murs et on laisse le choix au regardeur de formuler une critique.

Virna : « Beaucoup de choses dans l’exposition montrent que l’on a eu envie d’être en retrait par rapport à la figure du curateur « super-star », on n’a pas mis de cartel, on n’a pas mis de texte d’exposition. Enfin, on a mis des textes, mais c’est vraiment le choix du visiteur de les lire ou pas, à quel moment les lire. Les gens peuvent aussi s’en passer et voir l’exposition sans avoir aucune indication de notre part. C’était important pour nous de ne pas imposer une vision, ce qui est souvent le cas quand on va voir une exposition aujourd’hui. »

Armande : « Ce qui est commun aux œuvres, c’est le fait qu’elles ne soient pas des critiques, pas des opinions. Elles sont des symptômes et des constats sur plusieurs types de sociétés. Le constat est plus ou moins le même : ces sociétés qui essaient de contrôler ne peuvent le faire.»

Le terme « symptôme » capture bien cette volonté de qualifier objectivement un phénomène hors de contrôle, dont il faut trouver la source, tirer des conséquences. Les œuvres présentées montrent aussi l’ironie de situations absurdes qui font notre quotidien, sans enfermer le débat dans un manichéisme stérile. Comme l’illustre Camille Juthier dans sa Décoction 1, parfois, les plantes poussent sans des produits chimiques : dans un monde déconnecté des réalités du vivant, celui-ci s’adapte même à des produits bactéricides.

Évidemment, ces constats, ces paradoxes pointés du doigts dans l’exposition reviennent à questionner le rôle social, politique de l’artiste lui-même. Aujourd’hui, les expositions et les œuvres engagées sont omniprésentes sur la scène artistique mondiale. Au point que pour Virna, il n’y ait « plus le temps de faire de l’art pour l’art ». Peut-être moins radicale, pour Armande « les artistes ont la liberté de déplacer le point de vue, le regard sur des situations. Depuis cet angle, cela dit beaucoup de notre société, nous fait comprendre notre propre contexte. »

FOCUS SUR UNE ŒUVRE

Sarah Del Pino, Rêvent-elles de robots astronautes ? , 2017, film (25 minutes), Collection FRAC Auvergne, Adagp, Paris 2020

Cette œuvre vidéo nous montre une usine de production laitière : des vaches vivent dans un monde entièrement automatisée, sans homme. Le spectateur assiste à leur quotidien habituellement dérobé à notre regard. Selon Armande, cela pourrait être « dur à regarder, on pourrait croire que c’est très polémique dans un contexte plein de débats. On pourrait avoir peur de l’œuvre polémique, qui ferait du rentre dedans au débat actuel, mais au final on se trouve plongé dans l’intimité des vaches. L’artiste montre juste ce qui se passe concrètement dans cette usine sans homme, entre les vaches et machines. Tout cela est très problématique, mais ce n’est pas le sujet de la vidéo qui est juste un constat. » Il nous revient de nous questionner. Il n’y a d’ailleurs aucun discours, remarque la curatrice, aucune voix off juste le bruit des machines, des vaches.”

Mais outre le regard des artistes, la question des commissaires doit être posée, tout simplement compte tenu de la position de mes interlocutrices, mais plus généralement dans la mesure où la figure du commissaire d’exposition ou curator prend de plus en plus d’importance dans le monde de l’art contemporain. C’est pourquoi j’ai demandé à Armande et Virna de me donner leur(s) définition(s) du métier de commissaire d’exposition.

Virna : «  Pour moi, c’est plus un accompagnement. Et j’aime bien la racine du mot curateur et l’idée que ce soit du soin, prendre soin de l’œuvre d’art, ce qui est d’ailleurs l’idée derrière la notion de conservateur aussi. Mais, cette notion, je pense qu’aujourd’hui, se développe de façon différente, ce n’est pas que de la préservation ou de la restauration des œuvres. C’est une figure très polyvalente.»

Plus concrètement, et selon les mots d’Armande, ce mot « recoupe beaucoup de pratiques très différentes et si on a envie de créer une sorte de définition globale, il faudrait prendre en compte son rôle d’initiateur dans les multiples étapes nécessaires à l’élaboration d’une exposition, à commencer par le choix des artistes. Souvent on assiste à deux modalités du commissariat, celle qui part d’un thème pour y intégrer des artistes et celle qui part des artistes pour en faire découler un thème. Chacun de ces deux contextes engendrent des politiques curatoriales très différents. Il y a ensuite toute la réflexion conceptuelle qui en découle, mais aussi la question de son insertion dans une histoire de l’art : replacer la pratique, la pratique des artistes que tu présentes, ce que ça va apporter à l’histoire de l’art, à la création dans sa globalité, pourquoi c’est pertinent en ce moment, maintenant de montrer ça. Il y a un vrai travail contextuel à faire. Mais ce qui est le plus important, c’est de décider quelle relation tu entretenir avoir avec le ou les artistes que tu montres.

La particularité de notre projet, c’est qu’on était 19 et donc le commissariat était fort, alors que parfois l’artiste est plus présent dans le projet, avec un commissariat moins fort. On était « condamnés » à être un commissariat puissant. Donc ça a eu des conséquences sur le rapport de force, sur l’équilibre entre les deux. Malgré tout, une des premières choses dont on a parlé était qu’on ne voulait pas faire un commissariat tourné vers s’inscrire dans le réseau des professionnels de l’art contemporain et donc faire un commissariat qui va mettre en avant nos qualités, nos connaissances, qui va montrer qu’on connait plein de choses de l’art contemporain. Très tôt, on a parlé tous ensemble de l’importance de faire un accompagnement avec les artistes, d’essayer de les rencontrer au maximum, quand c’était possible, quand ils le voulaient, de leur poser des questions sur leurs travaux et si possible de faire des productions. C’est pour ça qu’on a une partie assez importante de productions et de programmations de performances qui illustrent bien cette politique. »

Pour la première fois, Armande et Virna, ainsi que leurs dix-sept autres co-commissaires, ont pu exercer ce rôle qu’elles étudiaient depuis un an. De la projection à la pratique effective se dégage nécessairement un écart sur lequel elles sont revenues.  

Virna confie son appréciation pour l’évolution des regards qu’elle a pu porter sur les oeuvres au fil du parcours de cette exposition, grâce à ses échanges avec les artistes, les rencontres avec eux, mais également grâce à la rencontre avec leur public. Lors de l’exposition et de son vernissage, les dix-neufs commissaires ont assuré la médiation de la manifestation culturelle, permettant notamment à Virna de « regarder les oeuvres qu’[elle connaissait], sur lesquelles [elle avait ] travaillé pendant un an, mais avoir un regard nouveau. [Lui] offrant une rencontre avec l’oeuvre qui ne finit jamais.»

De son côté, Armande ne s’attendait pas à ce que tout le projet découle autant du contexte dans lequel il s’inscrit. « Notre projet est étrange : faire une expo avec 19 commissaires, c’est étrange. Le lieu a été donné. Beaucoup d’éléments extérieurs ont déterminé cette exposition. ».

L’AVENIR DES EXPOSITIONS : ECOCONCEPTION, LE REFUS DU WHITE CUBE ET COVID-19

Evidemment, étant composé que de jeunes commissaires d’expositions, qui connu leur première expérience dans le métier en 2020, le collectif échelle réelle s’est confronté aux enjeux contemporains de l’avenir des expositions de manière générale.

Une approche de l’éco-conception

Le thème de l’exposition lui-même étant particulièrement lié aux questions environnementales, il importait énormément aux étudiants de Paris 1 de limiter l’impact écologique de leur projet. Ainsi, une approche particulièrement originale de l’éco-conception a été entreprise. « Ces préoccupations ont eu des conséquences sur toute la direction artistique du projet, y compris la sélection des artistes : il a été décidé que pour les oeuvres matérielles, elles seraient en Ile-de-France, le problème ne se posant pas pour les oeuvres immatérielles », explique Armande, « On a pris une camionnettes et on a pensé les points de ralliement. C’est déjà quelque chose mais c’est un champ encore en friche.  Il y a une pensée autour de l’éco-conception qui se développe mais reste encore en germe, a du mal à remonter aux institutions. On est une petite échelle géographique, donc petit impact mais cela nous a ouvert une réflexion sur les perspectives ».

Cette conscience des enjeux écologiques qui pèsent sur l’industrie des expositions temporaires comme sur beaucoup d’autres, a également permis au collectif d’offrir une scénographie constituée de meubles de leurs propres appartements, afin d’éviter de produire plus ou d’avoir recours à du mobilier jetable pour leur exposition.

Sortir du White cube

Cette décision implique également un positionnement intéressant vis à vis du traditionnel « white cube », soit la volonté d’un espace d’exposition neutre, totalement épuré, théorisé par Brian O’Doherty dès les années 1970 mais présent dans les scénographies depuis les années 1930.

En effet, Le Monde se détache de mon univers présentait les oeuvres sur des murs peint en vert olive, où le mobilier est si familier qu’il appartient habituellement aux logements des commissaires de l’exposition. Armande et Virna expliquent que ce parti pris, s’éloignant d’une modalité courante de présentation de l’art contemporain, a été très vite décidé au sein de leur équipe, qui souhaitait montrer que le « cube blanc » est une possibilité, mais loin d’être la seule. L’espace peut influer sur la perception des oeuvres mais ne devrait pas non plus être figé dans des codes de monstration trop restreints. « On en est à penser que ne pas peindre un mur en blanc, c’est un parti pris fort en matière d’esthétique, c’est quand même très restrictif,» me dit Armande.

Une exposition au temps du coronavirus

Loin de moi l’envie de célébrer l’omniprésence du coronavirus dans nos médias et nos vies, je n’ai pu m’empêcher de faire une lecture du titre de l’exposition Le monde se détache de mon univers, avec l’expérience  généralisée du confinement connu ces derniers mois. J’ai donc demandé à nos commissaires, ce qu’elles avaient pensé de l’expérience de l’organisation d’une première exposition dans un tel contexte.

Armande : « C’est très étrange. Ce qui m’a le plus fait violence, c’est cette sensation qu’on voulait conserver le projet originel alors qu’on a grandi depuis et changé en trois mois. On avait envie de concrétiser le projet mais on a été obligés de revenir et se remettre dans la situation : qu’est ce qu’on a voulu dire il y a trois mois ? Difficile à faire mais bénéfique parce qu’on lit très différemment les oeuvres qui cheminent différemment dans ton esprit. (…). On a pu redécouvrir les oeuvres (…). Et il s’avère que le thème de l’exposition est un peu prémonitoire, ce qui n’était pas volontaire.(…) Mais si le confinement est possible aujourd’hui, c’est parce qu’on a notre intérieur confortable où on peut se détacher du reste du monde. Cela manifeste une évolution de l’espace domestique actuel réel et qui a pris son sens pendant le confinement mais était déjà là avant. (…) Coïncidence heureuse ou malheureuse, en tout cas, ça dit quelque chose de la société organisée entre monde intérieur et extérieur.

ARIANE DIB

Chers musées…


Depuis le 2 juin, le compte Instagram de Louise Thurin (@louise.paris2020), étudiante métisse à l’Ecole du Louvre est le lieu d’un débat intense autour de la réaction des institutions culturelles françaises au mouvement social Black Lives Matter.

Par Louise Thurin – avec Zélie Caillol, étudiante à l’ICART Paris. 

Paris. 11/06/2020.

Chers musées,

Éduquez-moi sur le racisme. Quelle est votre valeur si vous ne me parlez pas ? Pourquoi ces façades noires vides et ces silences – prolongés ? 

On se doit de relever une certaine timidité institutionnelle à prendre la parole en temps de crise sociale. Musée, tous les jours ta jeunesse, tes acteurs intermédiaires, précaires, en lutte se battent pour démontrer ton utilité sociale au sein de leurs cercles. Nous amenons nos amis, nos parents, nos amours en ton sein. Musée, tu ne dis rien. Sans vous, les combats du passé meurent et ceux du présent titubent. Où sont les piliers de la science et de l’histoire ?

Il est inconvenant de se retenir de partager massivement – pour quelque raison que ce soit – un contenu historique et scientifique sourcé prouvant, démontrant et réaffirmant notre humanité commune. Il ne faut pas laisser s’immiscer les aberrations dans les esprits. Il ne faut pas laisser la place à un contenu nauséabond sur les réseaux sociaux. Il faut réaffirmer chaque jour plus fort que l’humanité est une et indivisible. Musées, distribuez à la jeunesse des torches de savoir – nous brûlons pour la justice, la vérité et la paix.

Les musées ne sont pas neutres. Ils sont en France un bastion de la République – une conquête du peuple. Pourquoi cet embarras à s’exprimer à vos premiers financeurs, l’ensemble des citoyens français – cette France plurielle ? Aux citoyens du monde entier qui passent le temps de quelques jours la porte de notre pays, de nos musées ? Servons-nous des parcs d’attraction ? Ne rien dire ou publier une façade noire – accessoirement accompagnée d’une banalité ; entre votre action sociale potentielle dans le débat public et celle de l’Oréal, il n’y aurait aucune différence ?

Nous sommes un grand pays touristique. Le musée du Louvre est une porte ouverte sur le monde, l’incarnation du musée universel. Des actions publiques de sa part auront nécessairement un rayonnement mondial. Étendard du pays auto-proclamé des droits de l’Homme, pourquoi ne les réaffirmes-tu pas aujourd’hui ? 

Mettons en place des piliers pour l’ensemble des Français – surtout pour ceux que vous ne touchez pas. Pour que la jeunesse qui t’écoute – et celle qui t’entendra à travers nous – aient à portée de main du contenu culturel historiquement dense et scientifiquement fiable. Pour ne pas construire demain sur des chimères. Nous avons collectivement besoin d’outils d’autodéfense intellectuelle – pour contrer le racisme, la désinformation, la haine, le complotisme, les pseudo-sciences. Musées, partager vos contenus massivement nous rendra résilients collectivement ! On cultive le goût de la vérité en l’essaimant.

La confiance en la science, l’histoire et les arts repose sur vos murs. Il vous faut affirmer, marteler la vérité : la théorie de l’évolution invalide toutes “races humaines”. Mettez de côté un artificiel planning de community management et partagez votre matériel pédagogique abondamment. Il est nécessaire de faire place à de nouveaux réflexes, à un paradigme neuf. « Il ne faut rien poster de trop intelligent, de trop complexe, de trop dense, on va faire peur. » Alors qu’inversement, nous savons que c’est le challenge intellectuel, l’ouverture contemporaine, une réinvention personnelle qui ouvrent les portes des musées. Nous militons pour une construction d’un discours sur le temps long, à plusieurs étages, protéiforme – et surtout, sur les réseaux sociaux. Mettre les pieds dans un musée est l’aboutissement d’une démarche. 

Musées, à qui (individus, groupes) s’adressent les activités de collage pour enfants – large part de votre création de contenu ces derniers mois ? A quel public – très singulier – s’adresse ce contenu ? Forts de votre notoriété, vous êtes suivis massivement, vous êtes “influents”. Des outils sont mis à votre disposition par les plateformes pour rediriger vos abonnés notamment sur vos sites internet respectifs – pour accéder à plus de ressources. Pourquoi l’utiliser pour des ateliers créatifs ? Pourquoi pas pour rediriger vers un contenu artistique, scientifique, pédagogique informatif, fiable et d’actualité ? Les réseaux sociaux ne sont pas un accessoire pour « parler aux jeunes ». Ce sont le cœur des sociétés – des agora mondiales et mondialisées.

Sans le Covid, nous serions en pleine Saison Africa 2020. Que font les institutions participant à cet événement ? Reportée à décembre, les contenus pédagogiques dorment-ils dans les cartons ? Partager un contenu dont les informations qui le composent sont d’utilité publique n’équivaut pas à un *spoiler* d’une exposition à venir. Au contraire, plus le contenu est informatif et dense – plus il ouvre une fenêtre sur l’intérieur des musées. Approfondissons ensemble – nuançons ensemble – réfléchissons ensemble aux mots, aux images, aux concepts qui déracinent la haine. Amenons les archives et l’histoire sur la place publique – c’est-à-dire encore une fois les réseaux sociaux. Chers musées, nous sommes à un clic – les yeux grands ouverts. Aujourd’hui, c’est d’abord ce que vous projetez hors de vos murs qui compte.

Nous n’attendons pas de témoignage de solidarité, mais des contenus – dont le plus grand nombre possible soit disponible à l’intérieur d’une même plateforme pour augmenter sa volatilité, son impact social. Le contenu est notamment sur Instagram une archive vivante, circulante, revenante – en somme non périssable et consultable par tous, à tout moment. Placez-vous comme des interlocuteurs de choix, des professeurs que l’on va voir et revoir à la fin d’un cours. Musée, tes absentéistes viendront enfin pousser tes portes, d’abord en ligne, et demain – nous le croyons – fouleront tes salles.

Comment intéresser les jeunes – gagner leur écoute, leur attention ? En leur apprenant à vivre en juin 2020 – armés des connaissances scientifiques, artistiques et historiques récoltées par l’humanité le long de son existence. En insufflant que l’avenir n’est interdit à personne et que le passé appartient à chacun. Si vous voulez attirer tous les publics, soyez les porte-paroles de tous les publics. Comme nous, ils s’écriront : « Incroyable ! Incroyable, c’est moi ! C’est ma vie ! C’est mon parcours humain ! Marchands, princes, guerrières, esclaves, rameurs, brigands, héroïnes… C’est moi, c’est moi tout à la fois – en même temps ! » Faites grandir leur soif – qu’il ne suffira plus d’observer, de loin, mais de partir à la rencontre de vos richesses – soient-elles un fragment de tesselle.

Chers musées, dans un premier temps et un premier réflexe sur les réseaux sociaux – notamment si vous êtes une micro-structure, manquez de temps, de moyens, ne disposez pas d’un community manager dédié – vous pouvez également proposer à votre audience de contribuer à eux-même au dialogue à l’intérieur de vos collections. Postez « Chers abonnées, ensemble contre le racisme. Avez-vous des contenus antiracistes en rapport avec nos collections / nos expositions à partager ? Taguez-nous, nous serons ravis de les relayer sur notre compte et d’enrichir ce dialogue. » Souvent des contenus “prêt à poster” existent déjà – récoltés et mis en ligne par des dizaines de “comptes historiques à but informatif” sérieux et sourcés. Amplifiez leur passion et leurs contenus. 

L’intégralité des contenus scientifiques et pédagogiques de vos expositions doit être visible de tous, tout le temps et de façon impérissable – assurant ainsi la pérennité de leur message après finissage : images d’archive, analyses d’oeuvres, interviews, documents, montages, comptes-rendu d’actions internes à l’institution, conférences condensées…

Il n’existe pas d’impartialité muséales – notamment quand on parle de racisme. Pour déconstruire collectivement nos imaginaires au profit des faits, observations et réalités historiques, il nous faut ensemble – et vous les premiers :

  • Diffuser et repenser la représentation des afropéens au cours des siècles et les manifestations historiques de leur présence avant le XVIème siècle.
  • Réévaluer l’histoire des territoires africains dans leur globalité – en mettant en avant leur pluralité et leur évolution dans le temps.
  • Valoriser les thèses de sciences sociales contemporaines produites par nos chercheurs universitaires et développer le réflexe de renouveler et d’actualiser constamment les argumentaires – notamment ceux présents sur les contenus pédagogiques. Nous ne voulons pas d’un musée fragmentaire, excluant des réalités de son champ d’expertise.
  • Remettre en question la pensée de l’esthétique des arts africains – en mettant en avant leur pluralité et leur évolution dans le temps. Musées d’architecture, mettez en avant la diversité architectonique et architecturale africaine – historique et moderne.
  • Réfuter les thématiques récurrentes de primitivisme, de sauvagerie, d’exotisme.
  • Au besoin, retitrer les oeuvres, refondre les cartels.
  • Placer le colonialisme comme étant au centre de la formation du monde dans lequel nous vivons. On ne peut pas prétendre connaître l’histoire de France si l’on fait abstraction de toute l’histoire coloniale. Il est impératif de comprendre ce qu’il s’est passé durant les quatre derniers siècles pour comprendre qui nous sommes aujourd’hui et nos interactions – individuelles, collectives. Inclure systématiquement les Outre-mers dans les discours. Leur oubli récurrent est insupportable et dangereux.
  • Encourager, dans le cadre de la coopération culturelle, les initiatives de documentaires et docu-fictions de l’histoire des peuples, royaumes, empires africains et figures historiques africaines, afropéennes, afro- françaises. 
  • Systématiser la conception des aires culturelles comme étant poreuses et les voyageurs nombreux – notamment dans l’Antiquité et au Moyen-Age – contrant ainsi les discours de roman national d’une France gauloise ou ethnique. Repensons nos échanges, nos innutritions. Penser que les hommes et les idées circulent n’est pas une théorie du complot. Musées d’archéologie, déconstruisez sur la place publique la récupération de vos contenus par les historiens du passé et les affabulateurs du présent essayant de valider à travers vous leurs pratiques discriminatoires, un roman national raciste. Musées d’archéologie romaine, parlez-nous des expéditions romaines en Afrique subsaharienne ; expliquez en quoi l’esclavage antique ou une possible annexion à l’Empire romain n’a rien à voir avec l’esclavage moderne et son contenu religieux et pseudo-scientifique. Le racisme anti-noir est une construction datable.
  • Enfin, les théories de “races humaines” parmi les Homo Sapiens sont une aberration. Musées de l’Homme : abondez-nous de votre contenu, avec une emphase évidente sur la théorie de l’évolution – qu’il est nécessaire de marteler et de réaffirmer.

Nous avons recensé jusqu’à aujourd’hui sept réactions d’institutions muséales en France au mouvement Black Lives Matter (et vraisemblablement aux manifestations sociales JUSTICE POUR ADAMA –  jamais citées explicitement). Quatre d’entre-elles sont des déclarations courtes “de solidarité”. Aucune ne s’apparente à un partage massif de contenu directement sur les réseaux sociaux. 

 “Les musées ne sont pas neutres. Ils ne sont pas séparés de leur contexte social, des structures du pouvoir et des luttes de leurs communautés. Et quand il semble qu’ils sont séparés, ce silence n’est pas de la neutralité, c’est un choix – le mauvais choix.

En tant qu’institutions hautement respectées dans nos sociétés, les musées ont la responsabilité et le devoir de lutter contre l’injustice raciale et le racisme anti-noir à tous les niveaux, depuis les histoires qu’ils racontent jusqu’à la diversité de leur personnel.

Derrière chaque musée, il y a des gens. Chacun d’entre nous doit choisir de se tenir responsable de ses propres préjudices et de vérifier ses propres privilèges. Nous devons choisir de nous opposer au racisme dans nos propres cercles et être prêts à apprendre à nous améliorer.” Extrait du communiqué de LONNIE G. BUNCH, secrétaire du SMITHSONIAN et co-président d’ICOM Etats-Unis (International Council of Museums).

Black lives matter est un appel à l’action, pas à la solidarité. 

Cet article avait été commissionné par un magazine en ligne qui n’en a finalement pas voulu. A ce refus, il a été massivement envoyé à d’autres revues, journaux, magazines et rédactions. Il avait été choisi dans un premier temps de le publier sur les comptes Instagram de Louise Thurin (@louise.paris2020) et de Zélie Caillol (@zxelie)  le 11 juin.

Aujourd’hui, ses auteures ont choisi ZAO Magazine pour développer leur argumentaire.

Visuels :
1. Portrait de Madeleine, Marie-Guillemine Benoist (1800) – musée du Louvre.
2. Portrait de Maria d’Orange (1642-1688), avec Hendrik van Zuijlestein (d. 1673) et un page (détail), 1665, Johannes Mytens Mauritshuis, La Hague.
3. The Moorish King Caspar, Hendrik Heerschop (1654) – Gemäldegalerie Staatliche Museen zu Berlin.
4. Tête d’Ife, XIIème siècle, Musée d’Ife.
5. L’Adoration des mages (détail), Hieronymus Bosch, 1495, Petworth House.

Le tour des galeries #2 retour dans le cube blanc !

Pendant deux mois, j’ai pu vivre comme un grand collectionneur : faire Art Basel plusieurs jours de suite et y connaître le prix des œuvres, assister à des conversations entre artistes, galeristes et curateurs, enchaîner en une semaine des expositions entre Paris, New-York et Londres. Ok. Mais tout ça, virtuellement. Et le rapport, physique, aux œuvres, la sensation de rentrer dans les espaces des galeries, me manquaient terriblement.

Deux mois et demi plus tard, les galeries ré-ouvrent au public. Quel plaisir de pouvoir à nouveau faire ce qu’il y a de mieux : visiter des expositions, découvrir des artistes, se trouver face à l’œuvre. Nous voilà de retour dans le cube blanc !

Avant de vous présenter ma sélection d’expositions, je tiens à vous dire que je suis encore dans ma ville de confinement, Orléans, et que je n’ai donc pas – encore – visité les expositions parisiennes citées. (Ceci explique également pourquoi les photos de ce tour des galeries seront des posts Instagram, et non mes photos).

J’ai profité d’être à Orléans pour me rendre au Pays où le ciel est toujours bleu pour la réouverture de l’exposition 300 dpi av. J.-C. de Yoan Beliard. C’est un lieu qui me tient particulièrement à cœur puisque j’ai pu m’y familiariser avec l’art contemporain et y rencontrer des artistes dans mes années lycée. 

Si ce qui nous a manqué pendant le confinement est la matérialité de l’œuvre, alors cette exposition tombe à pic pour une visite post-quarantaine. Le travail des matières et le rendu en plusieurs dimensions semblent bien les enjeux de ces œuvres. Du plâtre, des briques, du béton, de la fibre, de la peinture aérosol, du toner, sont travaillés en différentes formes sur de larges châssis métalliques apparents, ou façonnés en jarres.

Le titre de l’exposition nous plonge dans un tunnel temporel, liant antiquité et imprimante toner. Puis la lecture des œuvres se fait petit à petit, surfaces par surfaces. Les bribes de photocopies de vestiges archéologiques forment des images ; les matières utilisés, pauvres, sont sublimées à nos yeux en marbre ou pierres incrustées. Vases, minéraux et fossiles, nous réalisons que l’exposition nous transporte dans les réserves d’un musée archéologique.

Orléans, profitez de votre envie d’exposition pour visiter Le pays où le ciel est toujours bleu ! Et pour les plus curieux, voici le site de l’artiste.

300 dpi av. J.-C. , Yoan Beliard, du 28 mai au 21 juin 2020, Le pays où le ciel est toujours bleu, 5 rue des Grands Champs à Orléans, jeudi – dimanche, 15h – 18h30

Les œuvres de Jean-Philippe Delhomme ont accompagné mon confinement et l’ont égayé, grâce à ses nombreuses images de quarantaine sur Instagram : natures mortes, portraits, vues du boulevard ou scènes d’atelier, j’ai été particulièrement touché par ces peintures, dessins et encres qui saisissaient ce rapport inédit à nos espaces intérieurs. Cela sans me douter qu’une exposition de ses peintures se préparait à la galerie Perrotin. S’il ne s’agit pas des œuvres créées durant le confinement, une autre aventure est présentée : son voyage à Los Angeles.

Dans cette exposition, le peintre, également connu pour ses talents d’illustrateur et son personnage « the Unknown Hipster » suspend à nouveau le temps et rend hommage à la ville, à travers un arrêt sur image de différentes scènes de vie.

Los Angeles Langage, Jean-Philippe Delhomme, du 23 mai au 14 août 2020, Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h.

Jean-Philippe Delhomme est également en résidence sur le compte Instagram du Musée d’Orsay, où il y publie chaque semaine un dessin, imaginant ce que serait les posts Instagram des grands artistes du musée.

Notons que la galerie Perrotin présente deux autres expositions, celle de Gabriel Rico, et Restons Unis, initiative solidaire que nous pouvons saluer. En effet, la crise covid-19 impactant le marché, Emmanuel Perrotin, certainement l’un des galeristes français les plus connus à l’international, a choisi d’inviter certains de ses homologues parisiens à une union sacrée. A travers quatre expositions du 23 Mai au 14 Août, vingt-six galeries parisiennes exposent leurs artistes dans les murs de la galerie Perrotin, de quoi donner de la visibilité et se montrer solidaires.

Restons Unis, du 23 mai au 14 août 2020, Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h

Œuvres de confinement

Ainsi, la crise du covid bouscule la programmation des galeries. Et quand est-il des artistes ? Je souhaiterais maintenant vous faire découvrir deux expositions d’un nouveau genre : « œuvres de confinement ».

Ludovilk Myers avait une exposition personnelle de prévue pour Juin 2020. Mais, comme pour beaucoup de parents, il s’est retrouvé à la maison avec son fils à occuper tous les jours. C’est pourquoi ce solo show s’est transformé en exposition à quatre mains, véritable retour en images sur le programme de confinement à l’atelier avec Camille, 4 ans : peinture de fleurs, collage de paillettes, sessions Animal Crossing ou puissance 4 et morpions géants.

Ludovilk Myers est peintre et designer graphique. Merveilleux coloriste, son travail explore actuellement l’abstraction, par des aplats de couleurs souvent rehaussés et travaillés au airbrush. Mais cette exposition poursuit les précédentes expérimentations picturales père/fils, puisque l’artiste a déjà édité un recueil de dessins à quatre mains, Massif Central,  et publie régulièrement des dessins, collages ou peintures de son fils sur un compte Instagram dédié, ambiance « art contemporain et tétine ».

Je vous laisse vous aventurer plus largement dans le travail de Ludovilk Myers, sur son compte Instagram @ilkflottante et son site internet, ainsi que les recherches plastiques menées par son fils @bananepatten, et vous invite à découvrir l’exposition :

Confinés, Ludovilk Myers, du 3 au 21 juin 2020, Happy Gallery, 17 Rue Victor Massé, 75009, Mercredi – samedi, 14h – 18h

Le solo show de Damien Cabanes à la galerie Éric Dupont a été interrompu par le confinement, après seulement quelques jours d’exposition. La quarantaine passée, la galerie ré-ouvre son espace, mais accueille les visiteurs avec un nouvel accrochage d’œuvres encore fraîches. Ces fleurs, sur toiles libres de grands formats, ont été peintes pendant le confinement.  Si l’artiste continue à peindre des fleurs et bouquets, thème récurrent pour lui, ce contexte particulier de création transforme selon moi notre façon d’appréhender ces œuvres.  

Œuvres de confinement, Damien Cabanes, du 27 mai au 13 juin 2020, Galerie Eric Dupont, 138 rue du Temple, 75003, mardi – samedi, 11h – 19h

Si je parlais de l’utilisation d’airbrush dans le travail de Ludovilk Myers, un autre maestro de cette technique est exposé actuellement à Paris, à la galerie Ruttkowski;68, située dans le même arrondissement que les galeries Perrotin et Eric Dupont. Antwan Horfee maîtrise en effet cette incroyable technique, qui pourrait caractériser ses peintures fantastiques et évanescentes. A travers ces toiles et dessins exposés, nous accédons à l’univers fourmillant et fascinant de l’artiste, à découvrir absolument.

GOONS !, Antwan Horfee, du 23 mai au 28 juin 2020, Ruttkowski;68, 8 rue Charlot, 75003, mardi – samedi, sur rendez-vous (11 – 19h)

Merci pour votre lecture et belles découvertes. A bientôt !

Constant Dauré

L’OAR 284 du Musée d’Histoire de Lyon

Le 11 février dernier, le Musée d’Histoire de Lyon est en pleine émulation. C’est une journée un peu spéciale pour lui car un nouvel objet fait son apparition au sein de son parcours permanent. Dorénavant, dans la salle dédiée à la Seconde Guerre mondiale, les visiteurs pourront découvrir un petit orgue de salon.

Ce n’est pas tant la nature du bien que son statut juridique qui le rend si particulier. En effet, sur son cartel, il est possible de lire en lettres rouges la désignation « OAR 284 (Objet Art Récupération) ». Mais que signifie ce sigle ? Pour le comprendre, il est nécessaire de se replonger dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, nombreux objets, œuvres d’art, livres, meubles et instruments de musique, provenant de la France et pour partie spoliés par l’Occupant, furent récupérés par les forces Alliées et ré-expédiés en France en vue de leur restitution à leur propriétaire légitime. En l’absence de leur revendication et de provenance inconnue, plus de 2000 objets d’art furent retenus par le gouvernement français pour leur importance au regard du patrimoine national, afin qu’ils soient mis en dépôt dans les Musées nationaux ou dans les musées de province et exposés aux yeux du public.

Un décret du 30 septembre 1949 détermina leur statut juridique : l’Etat n’étant que leur détenteur précaire, ces biens n’entrent pas dans les collections publiques et sont inscrits dans le Répertoire des Biens spoliés dans l’attente de leur restitution éventuelle, sans qu’aucune date de prescription n’empêche d’en faire la demande ultérieure. Un sigle leur a été assigné pour les distinguer, notamment MNR (musées nationaux récupération) pour 980 tableaux du XVe siècle au début du XXe siècle, et OAR (objets d’art récupération) pour 645 objets d’art décoratif du XVe siècle au XIXe siècle. De plus, pour permettre leur identification, leur statut juridique contraint les institutions à les rendre accessibles au public et leur empêche de quitter le territoire.

Pourtant, depuis 1951, année où le petit orgue fut confié aux musées Gadagne, il n’avait jamais été exposé, seulement lors de l’exposition temporaire « La dame du Jeu de Paume, Rose Valland sur le front de l’art » au CHRD, entre 2009 et 2010.

Il apparaît que, plus généralement, entre les années 1950 et la fin des années 1990, aucune action n’était réellement menée par l’administration pour rechercher la provenance de ces biens. Ce n’est qu’en 1997 que le Premier Ministre décida de mettre en place une mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France pendant l’Occupation. Il en résulte la création de la Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliation, tandis, qu’en parallèle, la direction des Musées de France, reprit les recherches afin de mieux connaître l’historique des œuvres et en vue de conduire à de nouvelles identifications de propriétaires. Plus récemment, la volonté d’amplifier les initiatives menées jusqu’alors s’est concrétisée par un décret d’avril 2019 instaurant une « politique publique visant à identifier et restituer les biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ». Un arrêté complète le texte en érigeant la « Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ». Composée d’experts en matière de recherche de provenance, un budget lui est alloué afin de solliciter des recherches complémentaires.

C’est dans ce contexte que l’I.D.A.C (Institut de Droit de l’Art et de la Culture) a pris l’initiative de créer le premier séminaire de chercheur de provenance de France en partenariat avec le musée des Beaux-Arts de Lyon et les musées Gadagne. Dispensé aux étudiants du Master 2 Droit et Fiscalité du Marché de l’Art de l’Université Lyon III, ces derniers se sont vu attribuer les différentes oeuvres MNR et OAR des deux musées afin de retrouver leur origine. Trois étudiantes ont été chargées de rassembler autant d’informations que possible sur l’OAR284, bien si particulier, hybride entre un objet d’art et un instrument de musique. Les éléments à leur disposition comme point de départ de leur enquête étaient assez lacunaires. Sur la base de données Rose Valland, recensant toutes les oeuvres MNR, la fiche du bien l’identifiait comme une boîte à musique de l’école française du XIXe siècle. Les seuls indices pertinents étaient : le nom d’un fabricant, Mougenot, installé rue Saint Apolline à Paris, dont l’étiquette était apposée à l’intérieur du mécanisme, ainsi que celui d’un antiquaire parisien, Georges Charliat, par qui le musée d’Aix-la-Chapelle avait pu acquérir l’objet durant la Seconde Guerre mondiale. Pour accomplir leurs recherches, elles ont alors sollicité l’aide de trois types d’acteurs : les experts et luthiers afin de mieux comprendre la nature de l’objet, les institutions muséales pour retracer le parcours de l’objet, les archives pour retrouver les registres des fabricants et commerçants de l’époque.

Catalogue Jérôme Thibouville-Lamy de 1867

Grâce aux luthiers, elles ont pu déterminer qu’il ne s’agissait pas d’une boîte à musique car le cylindre à l’intérieur de la boite était en bois et non en cuivre. Il s’agissait en réalité d’un petit orgue de salon à anches. Les musées ont, quant à eux, fourni la généalogie des Mougenot, grande famille de luthiers originaires de la petite ville de Mirecourt dans les Vosges, dont l’étiquette était apposée à l’intérieur de la boîte. Cependant, elles ont eu connaissance par les experts qu’il était fréquent au XIXème siècle que le vendeur mette le label de son magasin sur les instruments de musique. Mougenot ne serait donc pas le fabricant mais il s’agirait d’une autre famille de facteurs d’orgues de Mirecourt, l’entreprise Jérôme-Thibouville-Lamy. Enfin, elles ont interrogé les archives de Paris et des Vosges. Toutefois, celles-ci n’avaient aucune trace des registres de la famille Mougenot ou encore du dernier vendeur parisien aux Allemands, Georges Charliat.

Finalement, sans parvenir à reconstituer l’entier parcours du bien, et notamment ses propriétaires d’avant la guerre, elles sont parvenues, au terme de leurs investigations, à restituer au bien sa véritable nature et remettre en cause l’attribution au fabricant Mougenot. En outre, informées quant à la volonté du MHL de rendre visible au public l’OAR, elles ont contribué à la rédaction de son cartel actualisé et proposé d’y joindre un panneau d’information sur les MNR/OAR afin de sensibiliser le grand public à ses dénominations largement inconnues.

A la suite de l’exposé de leurs travaux de recherches au musée des Beaux-Arts de Lyon le 20 février devant un jury constitué de représentants des institutions muséales, d’universitaires et de la présidente de la maison de vente aux enchères Sotheby’s France, elles ont été récompensées par le premier prix.

Pour le petit orgue de salon, l’enquête se poursuit. Tandis que la chargée des collections du MHL cherche à entrer en contact avec les descendants de Georges Charliat, la piste de l’entreprise Jérôme-Thibouville-Lamy semble se confirmer grâce à la découverte récente d’un catalogue datant de 1878 et proposant à la vente un type d’orgue fortement similaire…

ALICE CHAUVEAU, CONSTANCE GAUDIN, JULIA TATAR